Premier long-métrage de l’écossais Danny Boyle pour le cinéma après de nombreux téléfilms, Shallow Grave pose les bases essentielles du travail de l’auteur :



mise en scène au couteau,



entraînantes musiques populaires et réflexions, questionnements sur les interactions humaines. Au-delà du formel, le réalisateur entame la trilogie Bag Of Money – de l’effet dévastateur de la fortune soudaine sur le quotidien et les relations à l’autre – et ausculte ici certains mécanismes de l’amitié sacrifiée suite aux dérèglements psychologiques de l’esprit soumis à l’horreur.


Il y a le récit d’abord : dans une colocation à Edimbourg, le nouveau venu se suicide, laissant sous son lit une valise pleine d’argent – le fameux Bag of Money. Les trois amis accueillants, qui partagent visiblement leur vie et une très grande complicité, se retrouvent alors confrontés à un choix moral a priori évident pour tout être sain d’esprit, ce qu’ils semblent bien être malgré leur humour acide et une vision du monde aigrie. Oui mais voilà, partant du postulat qu’une telle somme d’argent tourne les têtes, ils optent évidemment pour la mauvaise solution : s’accaparer la petite fortune surprise, et pour s’en assurer, faire disparaître le corps.




  • Ne me dis pas que tu n’es pas tenté, je te connais suffisamment !

  • Tu es sûr ?



Parallèlement, une intrigue secondaire se fait jour : l’argent n’est bien sûr pas tombé du ciel, il vient de quelque part, appartient à quelqu’un. Quelqu’un qui compte bien le récupérer. Et au thriller psychologique principal, réalisateur et scénariste ajoutent une menace tangible, accentuant là le suspense sur le



rythme affûté



de son approche imminente.


D’entrée l’auteur assume la forme et souligne l’importance du rythme dans sa narration : une introduction monologue en voix-off monocorde sur fond de musique techno, un paysage urbain qui défile à toute vitesse jusqu’à un gros plan au plus près du narrateur, l’ouverture clipesque est une des particularités de l’œuvre de Danny Boyle. En quelques courtes et rapides séquences ensuite, le cinéaste pose les caractères forts, bien marqués, de ses trois personnages principaux, autour d’une scène à



l’humour acerbe et acide.



Plus tard, une agression dans les toilettes pour homme d’un pub bondé annonce au cœur du film le chaos à venir. La lumière éclatante dans l’insouciance initiale cède la place aux angoisses nocturnes, vient souligner l’horreur d’un inoubliable découpage, puis bientôt se grise, se voile quand approche l’amer dénouement. Le jazz léger et enjoué d’une impression de liberté disparaît sous la géniale et lancinante phrase du piano… Sorti des excès inutiles de la liberté financière, un poupon imbécile rampe en riant.



Mais Juliet, tu es médecin, tu tues plein de gens tous les jours !



Le cadavre pourrit dans la chambre et doucement la pente se dessine pour le trio : il va falloir se débarrasser du mort, et bien que les compères s’imaginent naïvement que ce ne doit pas être plus compliqué que ça, le prix à payer sera immense, terrible. Christopher Eccleston, en une intense performance inoubliable dans la nuit noire d’une forêt lugubre, le dit bien.



Dans l’adversité et dans l’avidité, l’amitié s’effrite.



Shallow Grave, c’est avant tout une étude de caractères en délitement. L’amitié dans le quotidien réglé d’un comptable, d’un médecin et d’un journaliste, tous célibataires, sans lien extérieur, c’est facile. Sous la pression de responsabilités pesantes et de manipulations silencieuses, tout se fissure inexorablement. Juliet – Kerry Fox juste mais oubliable – naturellement attirée par la sécurité, va maintenant vers le danger sans retenue, avec un plaisir insoupçonné, et prépare ses arrières entre angoisse et malice minutieuse, joue ses cartes sensuelles de manipulatrice sans remord. Alex – le déjà excellent Ewan McGregor – laisse s’exprimer toute la farniente et les penchants à la fête, à l’oubli, qui l’habitent, affronte la situation en tentant désespérément de masquer les doutes et la compréhension claire de ce qui vient, et toujours s’adapte pour finalement se créer une issue favorable. David – impressionnant Christopher Eccleston, narrateur solide – pète un câble, sombre dans la paranoïa et ne sait plus contrôler, ni même s’intégrer dans son ancienne existence d’aide comptable, tout en gardant une vision certes déformée mais nette, aiguisée, de la situation. Ne cachant rien.

Tout a un prix et ils commencent de le payer.



Un adulte normal ne vit pas dans un grenier !



Le crime ne paie pas, aucune valise de billet ne vaut la perte de son humanité. L’argent pourrit les plus belles choses, même l’amitié. L’esprit n’a pas toujours les fragilités qu’on lui prête, au contraire c’est de l’insoupçonné que se construisent et se détruisent les affinités.
Le postulat est simple, aigre mais évident.


Sa démonstration tout au long d’un thriller lugubrement drôle est



une belle prouesse de cinéma intelligent.



Dans le prétexte d’une forme populaire, avec les codes d’un humour acéré autant que d’un suspense extrême, Danny Boyle nous amène à réfléchir sur la fragilité de liens a priori trop forts pour être distendus, sur l’intime qu’on partage et celui que l’on cache, pour dresser un triste constat de la condition sociale de l’homme en nous la dépeignant comme un masque de bienséance destiné à cacher combien sa nature profonde ne l’amène d’abord à ne penser qu’à lui. Instinct de survie individuel.
Malgré les confidences et la proximité, malgré les joies, les fous rires et toutes les émotions nées du partage de présents, le film interroge l’amitié en statuant sans détour, dans la chair et le sang, qu’on ne connait jamais totalement ses plus intimes proches.
Qu’en un choix hasardeux,



les amis sont tués.


Créée

le 13 janv. 2017

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