Paul Thomas Anderson signe, avec Phantom Thread, son 8ème film après Inherent Vice en 2013, et sa deuxième collaboration avec le géant qu’est Daniel Day-Lewis après There Will Be Blood. Ils livrent, pour marquer leur retrouvaille et la fin de carrière de l’acteur, une œuvre emplie d’une ambition de maîtrise totale, autant dans le fond que dans la forme, afin de toucher au plus près la perfection absolue.


Reynolds Woodcock, couturier de renom, ainsi que sa sœur Cyril, détiennent la Maison Woodcock et imposent leur marque sur le monde de la mode londonienne des années 50. Les plus grands sont habillés par les mains de cet homme qui ne laisse transparaître qu’ordre et contrôle sur son monde. Les femmes comme des muses, l’inspirent et ne sont que de passage pour lui qui préfère vivre comme artiste impassible plutôt que comme homme triste et fatigué depuis le décès de sa mère.


Son quotidien millimétré va être bouleversé par sa rencontre avec la jeune serveuse, Alma, bien décidée à ne pas être reléguée au rang de second plan.


Imparfaite Perfection


Phantom Thread, au travers de sa mise en scène et de son histoire, va jouer de notre appréhension face à la perfection absolue qui semble parachever le travail de Reynolds et d’Anderson, l’un comme couturier, l’autre en tant que réalisateur. En effet, au même titre que Kubrick ou qu’Hitchcock l’étaient, Anderson manie la caméra avec une maîtrise qui s’affine de film en film. Des travellings et zooms excités dans Boogie Nights et Magnolia, il préfère dans son dernier film des mouvements de caméras plus lents, calmes, soutenus dans la longueur et la langueur. Il insiste sur certains plans pour mieux attirer et aiguiser notre regard sur ce qui pourrait être refouler comme détails superficiels aux yeux du spectateur.


Car ici, tout est question de détails et de minutie. Notamment par le travail d’orfèvre de Reynolds qui tisse avec une élégance sophistiquée, un tissu que l’on pourrait presque toucher et sentir. Le choix de tourner en 70mm concours à cette sensation et rajoute un grain à l’image qui semble perturber et à la fois sublimer le film. Car chaque petits « défauts » rendent l’histoire plus vraie, plus authentique. La perfection à laquelle s’adonne Reynolds n’est parfaite que parce qu’elle connaît des points faibles, des défauts.


Ainsi, l’infime tâche noir sur la robe blanche, la peau tailladée des mains du maître, les violons grinçants au milieu de l’harmonie mélodieuse, aident à rendre une émotion plus épurée, plus chorégraphiée par les mains des maîtres que sont Reynolds, Day-Lewis et Anderson.


Contrôle et Désordre


Jusqu’alors, le quotidien de Reynolds Woodcock, avait été ordonné par ses caprices et ses manies. Il contrôlait totalement son environnement. De la nourriture qu’il mangeait, au choix du tissu qu’il voulait utiliser, en passant par ses humeurs enfantines. Son entourage allait et venait au gré de ses envies et désirs. Mais lorsqu’il rencontre Alma et qu’il décide d’en faire sa nouvelle muse, son narcissisme et son excentricité vont être bouleversés par une relation empoisonnée.


Car voilà, Alma, elle, ne désire pas simplement être une nymphe qui pose et sert de mannequin statique pour les mesures de ses robes. Phantom Thread nous présente alors le portrait d’un homme tiraillé par les femmes qui l’entourent et qui l’entouraient. Cyril, la sœur impassible, Alma, la nouvelle inspiration, sa mère, absente et qui laisse un vide perturbant l’ordre si bien établit. Tous ces liens servent l’intrigue habilement filée et mettent en évidence les contrastes qui opposent pour mieux rassembler.


Le secret des coutures


Phantom Thread, titre énigmatique qui embrasse pleinement le secret de Reynolds. En effet, petit, il se mit à cacher des choses, des messages dont seul lui connaissait l’existence, dans les vêtements qu’il confectionnait. Ces « fils cachés » sont pour lui une sorte d’exutoire, de soulagement, pour alléger son âme. Il n’est alors pas surprenant de pouvoir, à faible mais percutant niveau, effectuer un rapprochement avec A Ghost Story et son héroïne interprété par Rooney Mara qui, elle aussi, cachait des messages dans les maisons qu’elle quittait.


Une nouvelle dimension s’offre alors à nous, lorsqu’une jeune inconnue vient s’adresser à Reynolds et lui confesse vouloir « être enterrée dans une de ses robes ». Ainsi, au-delà du fait que ce film parle d’un artiste au génie reconnu, il est parcouru par un souffle de mort qu’il tente de combler avec ces « fils cachés ». Reynolds utilise ces fils pour coudre ses vides, Daniel Day-Lewis lui, désir y laisser un fantôme, et Anderson s’en sert pour signer une œuvre poétique et intemporelle sur l’ego et les relations vénéneuses qu’entretiennent ces personnages.

Arastark
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le 3 mars 2018

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