Daniel Day Lewis est grand, Daniel Day Lewis est beau ! Dans l'une de ses précédentes collaborations avec Anderson, il forait des champs de pétrole d'une main, jouait au bowling avec des prédicateurs en guise de quilles de l'autre, ici il se contente de promener princièrement sa perfection dans un film tout entier dédié à sa gloire. Il conduit des voitures de luxe dans des décors de campagne anglaise sentant vaguement la naphtaline, et cela est grand. D'un seul pétillement de sa prunelle mutine, il ensorcelle des serveuses au matin en leur commandant des scones, de la confiture d'on ne sait plus quel fruit, et des saucisses : cela est beau. Nous autres batraciens, loin de finir par embrasser la dame, nous ferions vertement rabrouer ("Il a pas fini le petit gros ?"), mais la gente féminine s'enthousiasme à juste titre pour les proportions majestueuses du système digestif danieldaylewiens.


Enfin bon, tout cela pour avertir que nous sommes en présence d'une œuvre exigeante, qui n'admet pas en sa contemplation les tièdes, ceux qui ne confesseraient qu'une admiration modérée pour Daniel (les misérables !). À part ça, le spectateur qui aura fini de rendre à la divinité les hommages qui lui sont dues pourra remarquer l'extrême élégance de la mise en scène, toute classique. Il pourra apprécier le cours sinueux d'un récit dont on ne voit pas vraiment où il veut en venir, ce qui ménage d'agréables surprises. Il saluera le courage d'un cinéaste qui n'hésite pas à traiter de sujets de société brûlant, dans une scène qui fera date sur l'insoutenable désagrément du cri de la biscotte le matin, que surpasse uniquement en intensité dramatique la querelle ultérieure sur l'assaisonnement des asperges ("au beurre ou à l'huile ?"). Dans Phantom thread, toutes les mastications ont quelque chose de solennel et de fatidique, on en retient son souffle.


On croira que je me moque. Un peu, peut-être, mais c'est parce que je suis bête et méchant, parce que Phantom thread reste un film bien interprété, subtil, parfait formellement. Le problème c'est que tout esthète qu'il soit, le spectateur pourra se dire qu'au fond, vers la fin de la première heure, il n'en a rien à secouer de cette histoire de vieux bellâtre narcissique qui découvre l'altérité vers la cinquantaine. Le glissement progressif qui s'accomplit par la suite vers un autre registre maintient l'intérêt, mais il s'exhale aussi de tout cela un certain académisme, et l'idée d'une très grande maîtrise cinématographique appliquée à un sujet seulement honorable, et bien moins original que précédemment chez Anderson. Nous sommes clairement un ton en dessous des très grandes claques qu'avaient pu constituer Boogey night et There will be blood en leur temps. Pas tout à fait assez pour s'ennuyer, mais presque. Remarquable bande originale.

JohannLeuwen
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le 6 févr. 2018

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Johann Leuwen

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