PHANTOM THREAD (16,6) (Paul Thomas Anderson, GB/USA, 2018, 131min) :


Cette magnifique romance mélodramatique conte le destin du couturier de renom Reynolds Woodcock régnant sur le monde de la mode anglaise dans la ville de Londres des années 50 avec l'aide de sa sœur Cyril. Depuis plus de vingt et l'avènement du talentueux Paul Thomas Anderson avec Boogie Nights en 2017, chacune de ses réalisations est devenue un événement cinématographique. Cette année l'attente est doublée par la curiosité de voir apparaître en tant qu'acteur le prodigieux Daniel Day Lewis pour la dernière fois à l'écran, et pour la deuxième fois derrière la caméra du metteur en scène américain après le chef-d'œuvre There Will Be Blood (2007).


Commençant comme un conte gothique au coin du bois, on découvre une jeune femme narratrice évoquant le couturier comme "l'homme le plus exigeant du monde qui lui a permis de réaliser les rêves les plus fous" du monde à un interlocuteur inconnu sous la bande sonore mélancolique de Jonny Greenwood (guitariste, multi-instrumentiste, compositeur du groupe rock Radiohead), habituel collaborateur musical du cinéaste depuis There Will Be Blood. Cette introduction balaye d'entrée de jeu nos repères avant de faire connaissance avec le styliste dans la salle de bains lors de gestes intimes très appliqués par un montage très précis et une partition musicale plus dynamique. Dès cette judicieuse séquence, nous sentons un être dont la ritualisation de la journée est essentielle pour pouvoir sans parasitage inopportun se consacrer pleinement à son art créatif de la haute couture en donnant des ordres aux "petites mains" le doigt sur la couture qui abondent dans cette grande maison de l'aristocratie londonienne à l'ambiance feutrée. Styliste de renom, Reynolds Woodcock, homme froid, guindé et monomaniaque séduit les autres par son art, s'entiche de jeunes femmes le temps de quelques robes robes avant que la sœur véritable mère de substitution congédie ces femmes quand son frère en est las avant que sa rencontre avec Alma, une jeune serveuse vienne bousculer cet ordre si bien établi.


À partir de là, le cinéaste offre une grandiose fresque de l'aristocratie londonienne et surtout le portrait d'un artiste et ses relations ambiguës avec Alma devenue sa promise, véritable muse artistique avec laquelle va s'instaurer un jeu de pouvoirs entre soumission et domination, quand l'inverse n'est jamais bien loin. Par le prisme de l'entreprise de haute couture familiale et cette romance singulière, Paul Thomas Anderson offre de manière somme toute classique une somptueuse mise en scène picturale, où la pellicule 35mm apporte un grain particulier presque suranné et sublime chaque plan d'une composition de cadres absolument éblouissante magnifiée par des jeux de lumières éblouissants (dont en tant que chef opérateur il est lui -même responsable). De manière contemplative le réalisateur met petit à petit son récit psychologique retors en place, tout d'abord sur la création artistique et ses névroses, avant de recentrer son intrigue, comme les décors de la maison, sur cet amour pervers où la manipulation de l'autre va devenir l'essence même de cette relation particulière. Ce drame romanesque sensuel emploie une lente narration où le rythme lancinant opère un véritable envoûtement à travers les tissus intimes du spectateur de plus en plus intrigué par la partie d'échec à celui qui matera mieux l'autre. L'écriture très ciselée, les dialogues distillés comme du poison, le travail sonore admirable (notamment lors des scènes des divers déjeuner qui jouent un rôle très important dans l'intrigue), atteignent des sommets pour mieux illustrer la trame sur un fil, de plus en plus vénéneuse, à mesure que le rapport de forces entre les deux aimants varient de pôles.


Le cinéaste virtuose s'amuse à inviter tout au long de l'intrigue : l'élégance du cinéma de James Ivory, la perversité caustique d'un Stanley Kubrick avec Eyes Wide Shut (1999), ou le thriller sexué d'un Alfred Hitchcock pour mieux amener son drame romanesque conflictuel et toxique jusqu'à son paroxysme, lors d'une puissante séquence finale. Paul Thomas Anderson profite aussi de cette histoire pour nous livrer l'un de ses films les plus personnels où avec impudeur il nous offre semble t-il, une esquisse d'autoportrait impudique tant on sait son intransigeance, son perfectionnisme obsessionnel et son caractère très fort assez ressemblant avec le personnage de Reynolds Woodcock. Le réalisateur démontre une nouvelle fois son talent de directeur d'acteurs en utilisant dans toute sa complexité le charismatique du prodigieux et démesuré Daniel Day-Lewis, bien accompagné par l'impressionnante Vicky Krieps, révélation monumentale du film et la convaincante Lesley Manville.


On peut toutefois regretter malgré l'écrin somptueux hypnotisant proposé, d'être parfois un peu trop glacial ce qui peut engendrer un manque d'émotions dans cette relation passionnelle tumultueuse, et une présence un peu envahissante de la splendide bande originale confectionnée avec talent par Jonny Greenwood. À votre tour de prendre toute les mesures de cette nouvelle création raffinée taille patron, de l'orfèvre Paul Thomas Anderson, dissimulées avec soin dans Phantom Thread. Stylisé. Grinçant. Névrosé. Fascinant.

seb2046
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le 15 févr. 2018

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