Isolé aux confins de la broussaille sud-américaine, je parviens tout de même à entendre le raisonnement de ce soit-disant succès retentissant. Je me préserve en m'épargnant toute bande annonce, synopsis et autres détails qui parait-il, participent grandement à la réussite de l'oeuvre. Un camarade cinéphile issu des quartiers allocinéens, me précise : "j'ai là, l'impression d'avoir lu un beau roman".


Verdict. La nouvelle du 7ème art signé P.T Anderson s'adonne à l'amour dramatique. Une romance vénéneuse qui présente l'Amour - spontanée, pure, abstrait et ambigu - s'émancipant soit dit en passant, du classicisme du genre. L'amour ne fait pas que dans la poésie, la joie et l’éloquence. Elle est parfois fourbe, vicieuse et paradoxalement acerbe. Toute ceci se voit illustré dans cette romance dramatique prenant quelque fois les traits d'une de ces tragédies grecques.


La mise en scène - je reprends mon souffle - épurée, minimaliste et pertinente, se conjugue au jeu bluffant des acteurs. En écrivant ces lignes, une scène me revient en mémoire notamment. Celle où Daniel Day-Lewis échange des répliques avec Lesley Manville, tout deux assis face à face. On se sent petit. Petit, face à ce gigantisme de l'interprétation et de la représentation théâtrale.


Parce que l'oeuvre me rappelle une pièce de théâtre. Sur scène tout est si soigné, propre et chorégraphié de sorte à créer d'agréables transitions. Les premières séquences par exemple, sont un enchaînement de plans qui ne s'autorisent pas le hors-champs. Notre vision et notre compréhension se focalisent sur des personnages, qui d'entrée de jeu, sont d'une étonnante complexité. J'adore également, ce rapport avec la nourriture, ces rituels du petit déjeuner dont les pratiques opposent envers et contre tout, nos deux protagonistes. Et puis, si on évoquait la symbolique qu'il y a derrière, je risquerais d'étendre mon paragraphe au delà de ce que j'avais prévu...
Du homard dans Fenêtre sur Cours, de la nourriture invisible dans Hook, de la gelée dans Jurassic Park, le burger de Samuel L.Jackson dans Pulp Fiction ou encore la pièce de porc dans Pirates des Caraïbes, et ici là, les bonnes tartines du matin. A table !


Du théâtre encore, de part ces longues scènes de dialogues bondissant et rebondissant vers et à travers de nouvelles sous-intrigues. Les séquences semblent fonctionner comme des scènes de théâtre, puisque dans chacune d'entre elle, on ne se perd jamais dans l'espace. On se raccroche constamment à des lieux de référence tels que les chambres, la salle à manger ou bien le restaurant : une stabilité et un équilibre de mise en scène permettant à Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps et Lesley Manville de se représenter et de s'adonner face caméra.


La performance est telle, que les acteurs - artistes - sont de véritables multi-entités, donnant l'illusion d'observer des bourgeois du siècle dernier, et en faisant à la fois preuves de modernisme dans l'art d'interpréter. Pour Vicky Krieps, je n'en sais rien, tout est dans le visage et ses expressions. Son interprétation est impressionnante. Les deux protagonistes se basent tout deux sur une large palette d'émotions et d'états psychologiques allant de l'introversion, la timidité, vers la folie absurde. La folie, celle qui se présente quand l'Homme succombe à des peines insurmontables comme la haine, la jalousie ou encore le sentiment de trahison.


Phantom Thread est complet, présentant plusieurs niveaux de lectures qui se transcendent. Le film présente un cadre de vie et un personnage ennuyeux, froid, monotone, et dont le dynamisme personnifié notamment par le protagoniste féminin, se voit biaisé par un indispensable de la narration ; celui de montrer les contraintes d'une grande passion.
A l’échelle des spectateurs on demande également au public de s'immerger dans ce monde particulier de grand couturier. La lecture se réalise de part les observations de la jeune femme, qui comme le public, est à la fois intriguée et dépassée par ce que peuvent être les Artistes. Le défi était de taille. Intelligente, finalement est cette mise en scène qui donne de l'intérêt à l'ennuie, ici matérialisé et personnifié. Mon engouement c'est quelque peu relâché par ci et par là, parfois durant de bien trop longues minutes, mais l'ensemble reste sans contester de qualité !


En somme, voici un cinéma raffiné doté d'une romance sophistiquée et d'une mise en scène exhibant la quintessence de l'Amour ; une oeuvre qui pourrait d'ailleurs nous conduire à parler plutôt d'Amours au pluriel. La fin rappelle l'une de ces légendes mêlant jeunes mortelles influentes avec d'autres dieux puissants et vulnérables devant le Charme, au féminin. Est-ce que cela fait de Daniel Day-Lewis un dieu du cinéma ? Oh sans doute, à ce niveau-là.


P.T Anderson, lui complète à merveille sa filmographie, en insistant sur le fait que le maître - The Master - est, et restera la Femme. Si nous en n'avons pas l'impression, c'est justement parce qu'elle se permet d'attendre le bon moment... Non ? A bon entendeur messieurs. Enfin voilà. J'ai là, l'impression d'avoir lu un beau roman.

Jordan_Michael
8
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le 16 sept. 2018

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