Parfois des films nous rappellent pourquoi on va au cinéma, pourquoi on continue à aller voir ce qui sort même si c'était mieux avant, et après avoir vu le 54ème film de Clint Eastwood et le 69ème film de Woody Allen et que c'était pas mal parce que c'est Allen et parce que c'est Eastwood mais qu'on s'attendait à mieux, parfois il y a un film d'un cinéaste qu'on n'aime pas plus que ça, même plutôt moins que ceux que je viens de citer, qui sort et qui nous réchauffe l'âme. Je ne suis pas sûr que Paul Thomas Anderson soit un bon cinéaste, et sans bien connaître son œuvre j’ai plutôt tendance à penser qu’il n’a pas fait que du bon, loin de là, mais cette fois-là en tout cas il m’a eu et ce que j’ai vu sur l’écran était un ravissement à mes yeux. Déjà visuellement Phantom Thread en met plein la vue, davantage encore que les précédents films de PTA, puisqu’en plus du 70mm habituel on a droit à une reconstitution magnifique de l’Angleterre des années 50, à laquelle s’ajoutent les étoffes de luxe qui achèvent de conférer au film une splendeur viscontienne. Et puis même au-delà de ça, rien que les rougeurs sur le visage de l’actrice qui joue Alma sont terriblement émouvantes à voir – ça me suffirait presque.


Quant à ce qu’il raconte, Phantom Thread n’a pas la nébulosité de The Master et Inherent Vice – que les premières minutes m’ont fait craindre – et assume de n’être qu’une romance torve mais pourtant universelle, dont nous pouvons suivre chacune des étapes ; et c’est comme si nous n’avions jamais vu ça avant. Chacune des scènes qui confrontent les deux amants est absolument fascinante, entre deux acteurs complètement différents, comme s’il fallait bien la précision maniaque de l’un pour affronter le charme candide de l’autre, et comme si chacun des deux était un mystère pour l’autre, et à ce titre on croit à leur amour pourtant si étrange – on est bien loin de Gone Girl par exemple, auquel je n’ai pas cru du tout. Le duel amoureux de Phantom Thread est assurément l’une des plus belles histoires d’amour que j’aie pu voir, au même titre que celle de La Sirène du Mississippi de Truffaut auquel le dénouement fait penser. Et si la folie des personnages pourrait les tenir loin de nous – comme il était difficile de s’identifier au Joaquin Phoenix de The Master – Anderson parvient ici à faire communiquer l’extraordinaire de ses personnages avec l’ordinaire de nous spectateurs, forcément bouleversés par cette histoire si l’amour ne nous est pas inconnu, car toutes les amours sont, à leur manière, des folies.

Neumeister
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le 21 févr. 2018

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