J'ai trouvé ce film merveilleux. Je suis vraiment étonné qu'un cinéaste aussi naze qu'Aderson soit parvenu à accoucher d'une émotion aussi simple et généreuse. Phantom Thread est le premier film d'Anderson où une main est tendue vers son spectateur - mais le chemin pour nous mener vers lui est retors, tortueux et cruel. Le film ne se dévoile pas facilement, comme tu le disais sokol, "comme les secrets que cache le couturier dans ses robes". C'est l'inverse d'un film comme There will be blood qui faisait se succéder les scènes d'humiliation sans que jamais le mystère n'advienne, tout en crachant à la gueule de son abruti de spectateur. Ici il n'est jamais vraiment question de rapport de force entre les personnages, ou alors, si, mais chaque scène offre son contrepoint. On dirait le film d'un cinéaste qui voyait le monde comme un enfant de 12 ans et qui est devenu adulte. Une complexité nouvelle advient, et finalement, Anderson nous parle de l'amour comme nous l'avons tous vécu et comme on l'a peu vu au cinéma, jamais comme cela en tout cas - j'ai pensé à Paterson, autre film qui ne faisait que dire qu'aimer, c'est accepter l'étrangeté de l'autre. C'est plus pervers ici, parce qu'on à est l'aube d'un amour, un amour qui reste à se construire, où on accepte pas forcément tout. Les scènes sont construites comme des initiations, avec tout ce qu'une initiation contient de part de destruction.
Les acteurs sont magnifiques, ils sont aimés, ils sont vus. Le personnage de la sœur est par ailleurs l'un des plus beaux et complexes personnages qu'on ait vu au cinéma depuis longtemps.
Il y a une scène que je trouve splendide : l'engueulade autour du repas. C'est très impressionnant la façon dont Anderson se déjoue des codes de ce genre de scènes hystériques pour faire passer une émotion inattendue - à un moment, Day Lewis dit : "ou est ton arme ? tu es venue ici pour me tuer ? pour me gâcher la vie ?" L'hypothèse paranoïaque est dans le dialogue, et se diffuse dans tout le film - pourquoi cet homme se cloître et règle sa vie comme du papier à musique ? Et pourtant, n'est-ce pas cette émotion déraisonnable que nous avons tous vécu lors d'un conflit amoureux, cette idée que l'autre, parce qu'il nous déçoit, est venu dans notre vie pour nous faire du mal ? C'est très fort ce qu'Anderson révèle : à la fois une part de nous, la plus intime, la plus "embarrassante" dirait le héros de Paterson, la plus enfouie et cruelle - et en même temps la promesse d'imaginaire et de fantasmagorie auquel il ne cède pourtant jamais. Film corseté, qui rêve de s'échapper, de pousser vers le dehors, vers une histoire intime tue mais pourtant immédiatement bouleversante (le fantôme de la mère, la relation frère/soeur, l'empoisonnement aux champignons...le film accumule ces folies sous contrôle). On ne saura jamais ce que tout ceci signifie vraiment, et le film est comme un coffret scellé par un cadenas en diamant. Mais on sait que Anderson, lui, le sait. Et parce qu'enfin il nous traite en égal, parce qu'enfin il tend ce miroir fictionnel juste en face de nous, vers nous, vers notre histoire, vers notre façon commune d'aimer comme nous désaimons ; il devient merveilleux de s'abandonner à son secret.

B-Lyndon
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le 25 févr. 2018

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