Il est difficile d'entrer dans une oeuvre aussi touffue. La narration est pourtant linéaire, et temporelle. Mais les moments choisis sont si significatifs, si plongés dans le non-dit qu'ils se perdent parfois. Quoi qu'il en soit "Phantom Thread" poursuit les explorations déjà entamées dans "There will be blood", "The master" et "Inherent vice". La thématique n'est pas la même mais nous tournons autour des mêmes choses, l'admiration, voire la fascination,    la représentation, le désir de contrôle, le désir, le besoin, et l'interrogation de la nature humaine. Bien sûr étant donné le traitement particulièrement travaillé, le rythme délibérément contemplatif, et le tension émotionnelle sous-jacente, je ne saurais conseiller ce film à tous, et autant être prévenu, si vous n'y          cherchez rien vous n'y trouverez rien, et le moment passé risque de vous laisser un peu amers ou tout du moins déçus. Je crois pourtant que ces quatre films passeront le temps sans difficulté et à défaut  de trouver une reconnaissance, leur dimension les rend uniques et c'est habituellement ce qui fait oeuvre. C'est vraiment du cinéma.
Pour poursuivre , cet opus, comme les précédents cités, s'inscrit dans une historicité travaillée et documentée, mais il ne s'agit en aucun cas d'un film historique (pas de dates précises , pas de déroulement temporel, pas de référence à des personnages dits "du réel"...). Il contient les éléments d'une romance, mais ça n'est pas une romance. Ce n'est pas un film sur les femmes bien que le traitement de leur position, leur présence prépondérante, et le patriarcat pourraient en donner l'impression. La présence d'un fantôme n'en fait pas un film fantastique ou fantasmagorique. Et ça n'est pas non plus un film sur la haute-couture, malgré une description sensible et précise de certains aspects du métier.
Les personnages décortiquent les illusions, dans une fresque où ils sont eux mêmes perdus, à la recherche de ce fantôme, de cet invisible, de ce qui se cache derrière la robe. Le travail, la perfection, l'art, comme illusion du contrôle, contrôle de soi, et contrôle des autres, ici plus que dans les autres opus d'Anderson, l'illusion de la beauté, et l'apparence comme signifiant. Le personnage de D. Lewis n'est pas aussi fort qu'il en a l'air, Alma est plus belle qu'elle se le représente, et Cyril, la soeur, est plus sensible et sentimentale qu'elle ne le croit. On peut y voir le symbole même de l'art cinématographique, la recherche de la perfection, envers et contre tous, rattrapé inexorablement par la vie. L'illusion d'un contrôle, menacé toujours par les fantômes de l'être, les sentiments, les émotions, la mort de l'individu tout puissant, effacé par l'attache charnelle au monde : "j'ai faim", à la vie, à la mort dans le même contenu. Au même titre que le contrôle de soi, qui est l'essence, se glisse doucement le contrôle des autres, et le glissement est subtil, invisible comme le fantôme d'une mère en robe de mariée, incarné ou pas vraiment, comme le danger des "liaisons dangereuses", le danger des relations humaines, "inhérentes" à ses relations, inhérentes aux craintes et désirs incontrôlés qui nous constituent, en identités, êtres illusoires aussi fragiles que des châteaux de cartes. En cela et dans ces interrogations jamais dogmatiques, je ne peux que souscrire à ce "Phantom Thread", que je n'ai pas fini pour ma part de décortiquer, y compris dans ses dimensions sensitives, tant il est plein de contenu. Le contenant, choisi par le cinéaste est subtil, vivace, touchant, esthétique et maitrisé bien sûr, mais également critique. C'est la marque des très grands films, et de ces cinéastes qui tentent, de créer une cohérence. On pourra même noter une cohérence par l'unité esthétique de Paul Thomas Anderson, jusqu'aux pointes de longs plans séquences, et une découpe au montage très maîtrisée. Ce qui est filmé, en plan large, serré, l'est à raison la majorité du temps, les temps rapides ou longs sont positionnés.
Alors je veux bien me laisser envahir par ces fantômes là, qui révulsent et soulèvent ces sentiments profonds, pas toujours agréables, sous les couvert des tissus de dentelles et de taffetas, illusion d'être couverts, et joliment, pour être comme tous, à la fin, bien mis à nus, dans la révélation de la fin de soi, l'entrevue de notre état mortel.
DjuDju3
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le 24 janv. 2021

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Dju Dju

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