Au début du film, Ferdinand rencontre Samuel Fuller dans une soirée mondaine. Il s'approche et lui dit : "Je me suis toujours demandé ce que c'était le cinéma".
Fuller lui répond :
"Les films sont comme des batailles, l'amour, la haine, l'action, la violence et la mort.
En un seul mot : l'émotion."
Godard aurait pu demander à Fuller de répondre par des phrases, longues, construites, des assemblages de mots qui s'imbriquent et font sens, dessinent un discours d'analyste. Mais il n'a choisi que des mots désassemblés, des idées, lancées comme cela, comme des points ou une caresse, comme un souffle : les tirades ne veulent rien dire chez Godard. Seuls ont de sens ces mots, ces torrents de mots, ces mots balancés avec insolence, incarnant des images qui arrivent. "Pierrot le fou" est l'histoire de ces mots mis en images, ces mots sortis de la bouche d'un cinéaste : "Pierrot le fou" définit le cinéma. Dans ce film, il y a des batailles, l'amour, la haine, l'action, la violence, la mort, des émotions. Godard filme des mots comme des images et des images comme des mots.
Après avoir vu le film, Aragon avait écrit "l'art aujourd'hui c'est Jean-Luc Godard". Il avait raison : Fuller balbutiait des mots pour définir le cinéma, et alors Godard s'empressait de donner corps à ces mots. Quitter Paris pour partir à la mer, monter sur l'île mystérieuse du capitaine Grant et ne rien faire d'autres qu'exister - "c'est la vie". S'éloigner des gens et regarder le ciel et dire un poème et vivre. Et éclater sa tête dans un fracas de couleurs. Le bruit des arbres et de la mer. Le bleu, le rouge, le jaune. Les mots liés, Pierrot - "je m'appelle Ferdinand !" - et Marianne, qui s'aiment peut-être et peut-être pas. Le silence et la musique. L'ambition et les fleurs. L'espoir et le soleil. L'infini. Un meurtre, Las Vegas, l'Italie. Une voiture qui suit une ligne droite et qui soudain plonge dans l'eau - la liberté. Des digressions, des chansons - "ligne de chances et ligne de hanches". Une robe rose qui avance. Ana Karina...Il y a même Raymond Devos que se caresse la main par-dessus et par-dessous. Et puis des images aussi, et puis des silences.
Définir les choses mais dans le mauvais ordre, inverser la phrase et la découper en petits bouts. Disperser ces bouts qui forment une douce prière de cinéma. Des néons de couleurs qui assemblent des mots. Des collages, des détails de peinture. Interrompre la musique et les plans, s'agenouiller sur les rails du train et s'en aller quand il arrive - jouer avec la mort. Tout est capital, mais rien n'est grave. On joue et on ne cherche plus le sens. Godard prend ces ciseaux et découpe, et forme, et modèle tout ça. C'est tout simple, finalement : "c'est la vie !".
B-Lyndon
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le 4 mars 2014

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B-Lyndon

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