Avez-vous déjà souhaité disparaître ? Echapper à une vie enchâssée dans une société anxiogène, dans des relations compliquées, une vie dans laquelle on vient à douter de sa propre importance et de ses possibilités d'avenir… L'avez-vous déjà rêvé ? Comme cela, tout en douceur, glisser à travers une fissure et échapper au monde visible pour rejoindre le secret de l'en-dehors. Et imaginer alors la réaction de ces êtres que l'on a aimé à notre absence absolue et, sans doute, définitive.


*Pique-nique à Hanging Rock* raconte l'histoire d'une disparition. La disparition, au cours d'un pique-nique organisé par leur école (privée), le jour de la Saint-Valentin, de trois jeunes filles de bonne éducation et de l'une de leurs enseignantes, par un chaud après-midi australien. Et plus que de la disparition elle-même, c'est l'histoire de ces proches des disparues, confrontés à leur absence et en quête d'une élucidation, du dévoilement du mystère de leur évanouissement.
*Pique-nique à Hanging Rock* est un film magnifique et fascinant. Et ce, dès les premières minutes, voire secondes, car il ne lui en faut guère plus pour installer son atmosphère étrange et mélancolique à l'écran, pour nous envoûter et nous absorber, de la même façon que Hanging Rock envoûtera et absorbera les jeunes femmes. Cette atmosphère, ce n'est pas simplement ces musiques classiques auxquelles s'ajoutent ces airs étonnant de flûte de pan qui semblent renvoyer à un passé lointain que les premiers hommes eux-mêmes n'ont peut-être pas vécu mais dont nous gardons tout de même une sorte de mémoire, comme au sein de notre substance même. Ce n'est pas seulement non plus ces paysages solaires australiens, cette roche rouge de l'éclat du soleil, ces blocs grossiers et pourtant monumentaux, ces fissures à travers lesquelles nous apercevons les jeunes femmes, ces après-midi dont la chaleur nous irradie à travers nos écrans et nous plonge dans une douce torpeur qu'il nous semble partager avec les personnages eux-mêmes. Et ce n'est toujours pas uniquement les poèmes récités par les filles, ces douces paroles qui nous prennent dans le tourbillon de leur émerveillement, de leurs interrogations et de leur étrange voire inquiétante tranquillité face à un monde qui semble infini dans leurs yeux. Cette atmosphère qui nous nimbe dès les premières images, c'est encore moins la somme de ces éléments, car c'est bien plus que cela. C'est l'ensemble non clos de ces miracles, constamment en relation les uns avec les autres, et avec les myriades d'autres petits détails qui font le film. C'est en particulier la relation entre tout ce que l'on peut voir et entendre à l'écran et tout ce qui n'y est plus, n'y a jamais été et n'y sera jamais.
La poésie de *Pique-nique à Hanging Rock*, sa beauté, sa magnificence, son brio, c'est d'être un film qui se construit dans sa quête d'un hors-champ qu'il ne pourra jamais atteindre et faire passer devant la caméra. C'est cette disparition absolue, ce mystère total, que rien ne peut élucider et qui ne peut qu'être intolérable aux personnages encore présent, en témoigne ce cri strident et qui nous pénètre si profondément, le cri d'Edith lorsqu'elle voit ses compagnes entrer dans la roche, à la faveur d'un cadrage fascinant, et ainsi faire advenir cet hors-champ abstrait, qui relève de l'infini, et ouvre le film sur le Tout (comme dirait Deleuze, et faute de meilleur mot).
A vrai dire, ce sont désormais tous mes mots qui m'abandonnent face à la monumentalité de ce qu'il y a à dire, à faire advenir par le langage parlé. J'aurais des choses à dire sur la réapparition d'Irma, sur la disparition de Miss McCraw, sur Bertie et Sara, etc. Mais maintenant cela me semble vain et je vous invite plutôt à vivre le film à votre tour, ou à le revivre. Je terminerai simplement avec le personnage de Miranda.
Miranda, l'une des disparue, celle qui émet l'envie d'aller voir Hanging Rock de plus près et dont on ne peut que tomber amoureux. Comme le titre de cette critique vous l'aura peut-être fait comprendre, je vois en Miranda comme une autre incarnation de la Laura Palmer de *Twin Peaks* (Lynch), ce personnage mystérieux, mélancolique et qui connaît des secrets inconnus aux mortels, ce personnage dont on ne peut que tomber amoureux, comme Sara et Michael, cet ange de Botticelli qui nous apparaît si souvent *backlit*, afin de souligner sa beauté qui n'est ni qu'intérieure, ni qu'extérieure, mais qui irradie de son être complet, de sa relation mystérieuse à un au-delà du réel, à l'image du film lui-même.

Miranda, montre-moi comment te rejoindre hors-champ.

Metakoura
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le 8 déc. 2015

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Metakoura

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