At World’s End était censé être dans la lignée directe de Dead Man’s Chest, une partie 2 presque, pourtant les deux films me semblent assez différents. Et ce troisième opus me paraît presque un rebond (relatif) du « coup de barre » opéré avec le second.
Quittant les Bahamas comme on quitterait un Poudlard occupé, Verbinski se tourne de l’autre côté du monde, à Singapour. Il y puise un univers visuel passionnant, comme s’il écrivait son histoire à l’encre des ombres. Et cela pour ensuite ouvrir un monde tout de blancheur, rappelant très fortement une scène de Rango (2011) où il transforme un désert de sel en une sorte de Valhalla pour home cinema. Ce côté expérimental, c’est la nouvelle ressource des Pirates des Caraïbes, mais cela renforce l’impression que le régisseur s’ennuie.
Le pire, je crois, c’est à quel point les décalages s’accentuent, et particulièrement la fracture entre le drame et l’humour ainsi que celle qui sépare le rationnel et le fantastique. Le deuxième élément de ces deux couplets était jusqu’ici gérés comme des tabous, des plaisirs qui permettaient au spectateur de s’encanailler auprès de ses pirates préférés. Avec At World’s End, cette pratique est totalement méprisée, ce qui endommeage beaucoup l’esprit de la saga. Les conflits, qui étaient encore tenus au bout des doigts dans le 2, sont hors de contrôle, et sont beaucoup trop résolus à coups de trahison.
Si j’ai raison de croire que Verbinski a expérimenté par ennui, c’est tout à son honneur. Cela ne lui permet pas seulement de donner un magnifique petit rôle à Keith Richards, mais lui évite aussi de marcher dans le plat, et l’ambiance au goût d’Au-delà de nos rêves (Vincent Ward, 1998) arrive à renouveler l’âme, faute d’innover. Car le film cherche encore ses propres équilibres et il est un peu tard pour ça. Enfin si, il y en a un qui est atteint : le procédé de la remise en cause est très loin du binaire qu’on peut en attendre ; il faut chercher loin pour trouver les vrais tenants et aboutissants des intérêts de chacun, et c’est assez palpitant (comme le cœur encoffré du grand méchant poulpe, d’ailleurs).
Donc oui, At World’s End perpétue les défauts de son prédécesseur, mais il n’y a pas de grosses gaffes (vous n’aurez pas à ramer non plus, rassurez-vous !) et la créativité prend un peu le pas ; juste ce qu’il faut pour lui faire garder le cap.
Quantième Art