At World’s End est un déchaînement de tous les éléments, climatiques – désert irradié par le soleil, tempête nautique, navires incendiés –, narratifs et tonals en ce qu’il mêle allégrement l’aventure et l’action, l’humour et l’horreur dans ce qu’elle peut avoir de plus viscérale et romantique. Il y a même de la comédie musicale, en ouverture et lors des figures exécutées collectivement – pensons aux mouvements de l’équipage pour retourner le Black Pearl.


Gore Verbinski signe une œuvre somme qui offre une époustouflante conclusion à sa trilogie tout en en proposant une relecture audacieuse. Car il est moins question d’exotisme, thème du précédent opus, que de diplomatie entre pirates véreux une main sur le code, l’autre à portée de flingue : la première partie est une longue discussion à Singapour et se doublera d’autres sessions de négociations, pourparlers en tout genre, marchandage de vies humaines ou surhumaines, qui confère à l’ensemble une densité fort appréciable. De telles séquences verbales ont plusieurs effets sur lesquels il convient d’insister : elles retardent les batailles, ce qui accroît leur dimension épique ; elles complexifient les relations entre des personnages inconnus, connus mais mal connus en raison de leur opacité intérieure.


Chacun, protagoniste comme antagoniste, est à la fois une araignée soucieuse de dévorer son entourage et une proie prise dans différentes toiles ; Verbinski croit en la force du dilemme et rejoue, derrière la couardise savoureuse de Jack Sparrow, l’écartèlement des grands héros tragiques. Son film apparaît peu à peu comme une tragédie à part entière, tragicomédie pour gagner en exactitude : les enjeux internationaux et intimes s’emmêlent afin d’incarner à l’écran, par la confusion des motivations personnelles et des caractères qui s’affrontent, l’origine de toute guerre, un cœur brisé. Le regard de Davy Jones lorsqu’il écoute la berceuse de Calypso suffit à dire la souffrance et la solitude d’êtres destinés à se manquer, à se blesser, à éprouver leur douleur en faisant souffrir autrui. Aussi l’ultime affrontement refuse-t-il le manichéisme pour redistribuer l’humanité à tous ses personnages, donnant à chacun l’occasion du sublime.


Nous assistons, devant At World’s End, à la fin d’un monde et d’un art du blockbuster qui non seulement recourt au numérique de façon époustouflante – les effets spéciaux nous engloutissent, là où ceux des productions actuelles nous assomment – mais croit surtout en ses personnages et aux histoires qu’ils vivent et racontent. Gore Verbinski est un conteur hors pair qui sait articuler premier et second degré, un metteur en scène de génie qui touche ici à la perfection de son geste. Trois heures de beauté tourmentée pour une traversée aux confins du monde qui nous ouvre un horizon de fictions et de possibles.

Fêtons_le_cinéma
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le 25 févr. 2021

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