Gore Verbinski clôt sa trilogie sur un fantastique épisode.
Certes inégal par moment, Pirates Of The Caribbean : At World’s End dégage une puissance visuelle et narrative forte, malgré, je le concède, une fin un peu niaise – mais somme toute dans l’esprit de ses personnages, plus ou moins subtilement caractérisés, plus ou moins subtils tout court d’ailleurs.


Une corde de pendu se balance, un fanion de la Compagnie des Indes flotte au vent dans un silence morbide. Plan large sur une pendaison multiple ! C’est l’état d’urgence : tous les habitants soupçonnés, de près ou de loin, de fréquenter les pirates, sont condamnés à mort. En file indienne, et jusque sur l’échafaud, les prisonniers, d’un murmure, fredonnent puis chantent. A Singapour, Swann chante le même refrain : « Yo ho ho ! Hissons nos couleurs ! » Le film nous entraîne sur le déclin d’une civilisation aux parenthèses anarchiques face à l’apogée du commerce international de l’ordre et de la loi. On revient aux fondamentaux de la flibuste : la liberté, fière, et l’honneur, scellé par la fraternité, d’improbables identités face à l’oppressante barbarie du pouvoir et de l’ambition personnelle.


Le scénario joue de la faiblesse du précédent épisode en donnant du sens à la quête introductive : quand seul, Turner partait sauver Sparrow d’un pittoresque mauvais pas, ici, les enjeux de chacun sont assez forts, puisqu’il s’agit de survie collective, pour partir se perdre aux confins de la réalité afin de le ramener de l’antre de solitude où Davy Jones l’a emprisonné. Le décor n’est plus exotique, il devient mystique. On explore la spiritualité relative des croyances ésotériques d’un monde encore vaste. Pour parvenir à unir un peuple de marins hors-la-loi, parmi les manigances et manipulations de Barbossa, de Jones, de Turner et de Swann, Jack Sparrow jongle à chaque instant entre calculs simulés et hésitations évidentes. La complexité des enjeux est parfois trop grande pour un scénario finalement assez simple, mais c’était la recette du premier épisode : amener une multitude de points de vue et d’options dans les différentes séquences. Les enjeux sont nombreux et disparates pour obtenir la même chose, ce n’est donc pas de savoir qui va réussir, mais bien comment ils vont, d’alliances en confrontations, mener leurs vaisseaux.


Quelques plans, et toute une séquence, sont d’une rare beauté : la nuit claire à bord de la jonque qui arrive au bord du monde – « Il faut se perdre pour trouver ce qui est introuvable », dit Barbossa -, et le délire schizophrénique, autant que les dérives ubuesques, de Jack Sparrow. Une séquence resplendissante au sable blanc de son désert mental, habité de crabes de pierre, lisses et puissants, photographiée parfaitement : contrastes forts laissant peu de nuances, et cadres inhabituels et décalés, qui racontent l’imaginaire d’espoir intarissable du personnage. Rien que cette séquence atteint des sommets de l’onirique ! Un homme, un navire échoué dans le désert, et le rêve d’une immortelle nature bienveillante. Aux frontières du païen. Plus tard, le Black Pearl, retrouve la mer et, se retournant dessous les flots, ramène ses capitaines et ses matelots voguer dans le réel de leur légende. Assurément la plus impressionnante acrobatie de la trilogie, un effet spécial somptueux !
Il y a encore la confrérie des pirates, de nouveaux visages (excellente apparition, guitare en main, de Keith Richards) pour une longue scène de comédie et de manipulations qui raconte l’humilité de Sparrow – l’oiseau apprend à voler, et comprend que ce qu’il a de plus précieux, depuis toujours le vrai trésor des pirates, n’est pas l’or mais bien la liberté. Une musique à la Ennio Morricone pour une nouvelle esquisse d’hommage aux maîtres es-western mais le duel n’aura pas lieu de suite. Le combat final se perd en surabondance, et le montage, là-aussi, est anarchique, mais c’est bon ! C’est épique, c’est grandiose ! Et puis oui, la fin (mariage dans la tempête, sacrifice, amour par-delà l’éternité) est un peu niaise, mais souvenons-nous de Star Wars et de Return Of The Jedi.
C’est mignon.


Dans l’opulence qui lui est offerte, comme une ode à la liberté, Gore Verbinski fait du dernier mouvement de son épopée corsaire et maritime à la solde de Disney, une envolée graphique majestueuse dans les ors et les parures. La quête de sensations visuelles prend parfois le dessus sur le fond, mais en ce sens, Verbinski filoute de l’intérieur l’industrielle commande. Un bel objet d’insinuations anarchistes à mes yeux : le pirate est toujours un héros, vivant, guidé par un code tout particulier, ou mort des plus tendres aspirations, face à la froide ambition des partisans de l’ordre et de la normalisation coloniale expansionniste. Ce qui guide nos pas, par-delà le vaste désert des multitudes de monde que nous ne connaissons pas, c’est bien la liberté.
La liberté de se rencontrer, de découvrir d’autres espaces.
La liberté de vivre, de penser, et d’être.
Gore Verbinski, comme tout un chacun, la prend où il peut.


Matthieu Marsan-Bacheré

Créée

le 2 mars 2015

Critique lue 229 fois

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