Vanné, lessivé, épuisé.


Deux heures de Pirates des Caraïbes 5, c'est deux heures dans l'essoreuse de votre machine à laver. Sans doute la meilleure adaptation de l'attraction éponyme, un grand huit géant avec quelques (brèves) ascensions timorées et une tétrachiées de descentes vertigineuses pleines de bruits et de fureurs et de trompettes et de cymbales et de cris et de boulets de canon.


Mi par paresse parentale, mi par opportunisme politique, nous avons fabriqué une génération de déficients attentionnaires, d'handicapés de la bougeottes incapable de maintenir leur concentration pendant plus de trois minutes, montre en main, et qu'il faut sans arrêt surprendre avec des Boum, avec des Waaaaa, pour les tenir en place.


Après quoi on a inventé des pathologies pour leur vendre de la thérapie lucrative, des médocs qui se paient, des excuses démagos qui nous donnent bonne conscience, qui nous transforment de bourreaux en victimes d'un tour de psycho fumiste à deux francs (canadiens).


Ce Pirates des Caraïbes 5 est le film de cette génération estropiée par des heures de Piwi et de Cartoon Network, par les pubs et les vidéos Youtube, par la culture zapping et l'éducation surbienveillante, un cauchemardesque assemblage de séquences d'actions hystériques où tout s'agite sans cesse comme un poulet sans tête pour que Brian, Brandon et Jean-Rayane ne s'ennuient jamais une seconde - ce qui serait les perdre, et définitivement.


Entendons-nous bien, la série des Pirates des Caraïbes n'a jamais brillé par sa retenue, ses longues séquences contemplatives et sa profondeur thématique, elle a toujours bondi, rebondi, rerebondi au son d'accords pompiers d'une efficacité inversement proportionnelle à leur inanité.
Elle a toujours été un divertissement hollywoodien porté sur la surenchère et un rythme échevelé de pulp en eaux profondes.


Pour autant, elle a su ménager ses moments pour souffler, ses séquences pour creuser, ses dialogues pour jeter l'ancre, ses redescentes scénaristiques pour donner du fond à sa forme, ses personnages caractérisés en pointillés, mais avec finesse - avec un peu d'humanité et d'héroïsme en sus.


Dans cet épisode 5, qui est également un semi-reboot, tout est là, à l'identique : les cabotinages, l'aventure, le grand large, les malédictions, le souffle épique et Jack Sparrow.


Pourtant, la sauce ne prend pas. Jamais (ou trop rarement, à la faveur d'une ou deux ou trois séquences trop brèves, qui n'en agacent que davantage).


L'univers, désormais, n'a plus la moindre consistance : les décors qui jadis se plantaient pour construire l'ambiance ne sont plus qu'une conséquence de l'action, un prétexte à fusillades, abordages et courses à perdre haleine. La mer est partout sans être plus nulle part. On la voit sans arrêt, et pourtant on ne la ressent jamais. A son image, tout est vide, tout est lisse, tout est premier degré, dans le "faire", jamais dans l'"être", surtout pas dans l'"être", et c'est finalement en cela que cet épisode 5 est le plus douloureux : il est au diapason du monde dans lequel nous vivons, à présent.


Au fond, ce deuxième opus de trop n'est qu'un blockbuster dans l'air du temps, et sans doute pas le pire qu'on ait vu ces dernières années - mais un blockbuster qui, au-delà de ses grimaces fatiguées et de ses échauffourées toc, nous donne à voir le monde tel qu'il est devenu.


Un monde défait de sa magie, de sa substance, de sa profondeur, de ses multiples sens, au profit de la précipitation, de l'hystérie et du spectacle-éponge dont tout effort intellectuel (même minime) est proscrit.


Un monde qui ne sait plus raconter ses histoires, parce que ses enfants ne savent plus les écouter.


Ce qui nous renvoie finalement aux très beaux échanges entre Barbossa et Sparrow qui servaient de thème (simple et puissant) au troisième volet : "le monde change... y avons-nous encore notre place ?".


Eux non, c'est certain, cet épisode 5 est formel.


Nous... quand on en ressort laminés, on est franchement en droit de se poser la question.

Liehd
6
Écrit par

Créée

le 1 juil. 2018

Critique lue 226 fois

Liehd

Écrit par

Critique lue 226 fois

D'autres avis sur Pirates des Caraïbes - La vengeance de Salazar

Du même critique

Black Mirror
Liehd
5

En un miroir explicitement

Avant d'appréhender une oeuvre comme Black Mirror, il convient de se poser la question qui fâche : pourquoi un auteur se pique-t-il de faire de l'anticipation ? Réponse : parce que c'est un genre "à...

le 7 mars 2016

104 j'aime

37

Coherence
Liehd
8

C'est dans la boîte !

Leçon de physique quantique, appliquée au cinéma : L'expérience est simple. Enfermez huit acteurs de seconde zone, cinq nuits d'affilée, dans votre pavillon de banlieue, isolez-les de l'extérieur,...

le 19 mai 2015

100 j'aime

Andor
Liehd
9

Le Syndrome Candy Crush

Puisqu'on est entre nous, j'ai un aveu à vous faire : au départ, je ne voulais pas regarder Andor. Après avoir tourné la page Obi Wan, et usé de toute ma bienveillance partisane à lui trouver des...

le 31 oct. 2022

93 j'aime

26