Eternel poil à gratter d'une société bien trop conformiste, Jacques Tati n'aura cessé de poser un regard à la fois amusé et critique sur notre monde, de pointer du doigt un manque plombant de fantaisie chez ses contemporains trop sérieux. Tourné sur trois ans et échec à sa sortie, Playtime permet au cinéaste de pousser son cinéma dans ses derniers retranchements, quitte à signer une oeuvre loin d'être accessible.


Réglé au millimètre près, d'une ambition formelle sidérante pour l'époque, Playtime représente un sacré travail d'orfèvre, ce qui peut paraître paradoxal pour un film regrettant justement une absence de spontanéité dans la vie de tous les jours. Tout est contrôlé, calculé, rien n'est laissé au hasard pour donner vie à la vision délirante mais l'air rien prophétique de l'auteur. De quoi peut-être laisser certains spectateurs sur le carreau, l'univers froid et la durée relativement conséquente (un peu plus de deux heures) pouvant clairement rebuter.


Le prix à payer pour accoucher d'une fantaisie d'une richesse incroyable, d'un point de vue formel comme thématique, où Tati joue une fois encore avec le cadre et le son, la pantomime et le burlesque. Entièrement narré par le biais de l'image et du montage,construit autour de scénettes sans véritable récit, Playtime est une oeuvre purement avant-gardiste, clairement en avance sur son temps.


Le portrait à la fois drôle et flippant d'une monde de plus en plus uniformisé, où tout et tout le monde se ressemblent, où l'on ne fait plus la différence entre les citoyens (même les touristes se fondent dans la masse) et où la vraie beauté architecturale et historique de chaque cité n'est visible que par l'intermédiaire de vagues reflets sur ces étranges bâtiments high-tech et sans âme. Un monde trop parfait qui se fissurera au sens propre comme au figuré, comme contaminé par la présence de notre héros lunaire, apportant dans ses bagages une parcelle d'humanité et de folie qui faisait cruellement défaut.


Fable aussi drôle que visionnaire sur l'importance de communiquer et de se démarquer, Playtime est la quintessence d'un auteur au sommet de son art, mais aussi un de ses essais les moins accessibles, les plus exigeants. Apprécier Playtime n'est pas toujours évident, mais une fois que l'on accepte le voyage, ses mille merveilles nous laissent avec des étoiles plein les mirettes.

Gand-Alf
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Gand-Alf and Emma Peel's Excellent Bluraythèque., Jacques Tati., Mon cul devant la télé ou au ciné en 2016., 1967. et Les meilleurs films de 1967

Créée

le 14 avr. 2016

Critique lue 782 fois

24 j'aime

2 commentaires

Gand-Alf

Écrit par

Critique lue 782 fois

24
2

D'autres avis sur Playtime

Playtime
Biniou
8

Critique de Playtime par Biniou

Le plan que je trouve le plus beau du film, cette touriste qui s'attarde sur un reflet de la tour Eiffel dans une porte vitrée alors qu'on veut lui faire visiter un marché ou l'on vend tout et...

le 23 juil. 2012

59 j'aime

3

Playtime
SUNSELESS
8

enilua je te dédie cette centième critique, parce que tu me l'as gentiment demandé.

Tati c'est avant tout une gestuelle, une affaire de mime et du bruit. Dans Playtime nous assistons à une véritable montée en puissance de la vitalité et de la festivité. Le début du film est à...

le 16 déc. 2011

46 j'aime

7

Playtime
Grard-Rocher
8

Critique de Playtime par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Que se passe-t-il donc pour notre Monsieur Hulot? Il est à Orly sagement assis seul dans un hall désert et aseptisé où un homme de ménage tente une timide apparition. Puis soudain désordre, cohue,...

38 j'aime

15

Du même critique

Gravity
Gand-Alf
9

Enter the void.

On ne va pas se mentir, "Gravity" n'est en aucun cas la petite révolution vendue par des pseudo-journalistes en quête désespérée de succès populaire et ne cherche de toute façon à aucun moment à...

le 27 oct. 2013

268 j'aime

36

Interstellar
Gand-Alf
9

Demande à la poussière.

Les comparaisons systématiques avec "2001" dès qu'un film se déroule dans l'espace ayant tendance à me pomper l'ozone, je ne citerais à aucun moment l'oeuvre intouchable de Stanley Kubrick, la...

le 16 nov. 2014

250 j'aime

14

Mad Max - Fury Road
Gand-Alf
10

De bruit et de fureur.

Il y a maintenant trente six ans, George Miller apportait un sacré vent de fraîcheur au sein de la série B avec une production aussi modeste que fracassante. Peu après, adoubé par Hollywood, le...

le 17 mai 2015

208 j'aime

20