« Tu danses, tu danses, ça sert à quoi ? Nous sommes rien, rien, rien ! »

On a souvent reproché aux français, qu’ils soient cinéastes ou auteurs, d’être inférieurs aux américains en matière de polar. Lorsque Clément adapte Highsmith, il est donc intéressant de se demander en quoi le passage à la moulinette du grand cinéma national des années soixante va minorer ou sublimer le roman.
La principale qualité du film, qui dure tout de même près de 2 heures, est son jeu subtil entre ellipses et scènes. Le début nous donne l’illusion d’une connivence très forte entre Philippe et Tom, qu’on apprendra factice par la suite. De la même façon, le personnage entier de Tom, glacialement interprété par Delon, est une ellipse incarnée. Instinctif, méthodique, froid, il avance sans qu’aucun obstacle ne semble le freiner. Mutique, occasionnant de nombreuses scènes sans dialogue, Delon et son regard sont le pivot de ce film hypnotique.
Durant quelques scènes centrales, celles des meurtres et surtout de la gestion des corps, le temps s’étire. Laborieuses, étouffantes, au lestage du corps sur le bateau répond la lourdeur de celui qu’on doit porter au bas de l’escalier.
Visuellement, Clément prend aussi son temps. La mer, le soleil, les victuailles qui s’étalent au sol… Chaque détail est restitué, et semble s’intégrer dans un plan machiavélique et savamment maitrisé.
Le film, et c’est là aussi sa dimension française, est une énigme. Le personnage de Philippe, provocateur et cynique, les conversations sur le meurtre à venir, tout semble joué et maitrisé, qu’on soit la victime ou le bourreau. Si bien que les petites maladresses de Tom deviennent touchantes, et la bonne conduite de son plan finit par enthousiasmer le spectateur qui se prend à cautionner l’escroquerie, séduit par sa virtuosité.
La chute, brutale et tragique (notamment par cette splendide citation de la voile noire sur la méditerranée), clôt le film de façon aussi abrupte qu’il a commencé. Insaisissable, sans concession, troublant par son charme vénéneux.
Sergent_Pepper
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Auteur français, Psychologique, Policier, Thriller et Les meilleurs films français

Créée

le 18 sept. 2013

Critique lue 4K fois

81 j'aime

7 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 4K fois

81
7

D'autres avis sur Plein soleil

Plein soleil
guyness
7

Delon en large

Ha ha. Sacré Alain. Si votre route croise ce "plein soleil" par le biais du DVD ou du Bluray, bref du support physique, ne ratez sous aucun prétexte la petite interview de Delon dans les bonus. Non...

le 18 juil. 2013

72 j'aime

8

Plein soleil
SBoisse
8

« Quand on veut faire distingué, ce qui est déjà une intention vulgaire... »

Alain Delon a 22 ans. Il n’a pas encore oublié que, titulaire d’un CAP de boucherie, il a appris le métier auprès de son beau-père, que pour fuir la charcuterie, il s’est engagé dans la Marine...

le 2 août 2018

71 j'aime

28

Plein soleil
GuillaumeRoulea
9

Un ange noir pour un diamant flamboyant

Comme il y eu "La Bandéra" de Julien Duvivier pour Jean Gabin, il y a "Plein Soleil" de René Clément pour Alain Delon. Ce grand classique du film noir, c'est la naissance d'un mythe. Le mythe Delon...

le 22 sept. 2013

56 j'aime

5

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

764 j'aime

103

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

698 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

612 j'aime

53