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Alejandro Jodorowsky a réalisé l’exploit, après plus d’un demi-siècle de carrière, d’être parfaitement inconnu du grand public tout en étant présent dans tous les esprits de quiconque s’est un jour intéressé au cinéma ou à la BD alternative depuis 1970. El Topo a lancé une nouvelle manière d’appréhender la diffusion de films indé d’où est issu le Rocky Horror Picture Show ou les David Lynch, son projet d’adaptation de Dune a généré Alien et le Cinquième Elément (entre beaucoup d’autres, à voir le reportage Jodorowsky’s Dune), Nicolas Winding Refn le considère comme son père spirituel, Dali et les Rolling Stones voulaient jouer pour lui, Pink Floyd composer sa musique… Le dernier des surréalistes devenu Pape de la contreculture a relancé avec son ami et producteur Michel Seydoux le projet fou – à son image – de raconter sa vie en cinq films. À l’époque il avait 83 ans et n’avait rien tourné depuis plus de deux décénnies, aujourd’hui il en a 87, a fait quatre festivals dont la quinzaine des réalisateurs à Cannes pour le deuxième film de la saga en devenir : Poesia Sin Fin


Jodorowsky sort de nulle part ou presque, un village paumé du chili qu’il quitte avec son tyran de père et sa mère pour la grande ville, un bateau s’éloigne une digue pour conclure la Dansa de la Realidad (l’enfance), la même coque de noix ouvre Poesia sin fin. La fin pourtant on la connaît, Jodo fuit la dictature pour Paris, mais entre il y a toute son adolescence, son éducation sentimentale et artistique au sein de Santiago, la capitale du pays.


La continuité entre les deux films est parfaite, d’ailleurs ils partagent les mêmes défauts : caméra numérique pas tip-top, diction un chouïa théâtrale de pas mal de personnages, rythme parfois brouillon, mais il conserve surtout les mêmes qualités, la même personnalité. Dans une vision onirique de son passé, Jodorowsky entre souvenir et conte nous narre les aventures d’Alejandro joué par Adan Jodorowsky tandis que son père est joué par son autre fils (Brontis Jodorowsky), rien de surprenant, tous les films du maestro ou presque ont un Jodorowsky dans un rôle-titre. Plus d’œdipe cependant, l’affranchissement du père quasiment achevé dans la Dansa laisse place à l’aliénation par le désir et les femmes, surtout sa maitresse, l’écriture et la poésie. Véritable acte politique sous la dictature pour de réinventer le quotidien, moteur pour le jeune Alejandro faisant sien l’univers qui l’entoure et que l’initié reconnaîtra : tiens ça c’est dans Santa Sangre !


Le fan sait à quoi s’attendre, ou plutôt sait qu’il doit s’attendre à être surpris par l’approche très Eros et Thanatos de certains passages pas forcement validé par famille de France, « les gens vont encore dire que Jodorowsky a fait du Jodorowsky » a résumé le maître dans un éclat de rire. Le néophyte peut sauter dans le train en marche à condition de bien garder les yeux ouverts, si un film est toujours le reflet de la philosophie de son créateur, ici c’est tout un inconscient bariolé qui est mis sur la table à chaque scène, chaque plan. Symbolique, expérimental, poétique, délirant, dur de choisir un mot devant un tel foisonnement. Le Jodo dernière période (et encore on n’est pas à l’abri d’une surprise vu le phénomène) fait du bien, radicalement opposé dans ses intentions, le fond et la forme, à tout ce qui n’est pas du Jodorowsky. On y rentre comme dans un rêve et on le quitte avec un pincement au cœur en imaginant très fort le retour du frêle bateau de bois à son quai pour un troisième opus.

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le 6 oct. 2016

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