Cela fait maintenant presque deux semaines que j'ai vu ce film. Deux semaines au cours desquelles il ne se passe pas un jour sans que mon esprit ne s'attarde sur Point Limite. La seule parenthèse qui me sort de cette obsession a été la magnifique vision qu'a été Mommy, mais je reviendrai sur ce point dans une autre critique sur le dit film. Ici il est question de Lumet et de son Fail Safe.

Et il est intéressant de constater que le hasard fait bien les choses. En 1964, juste après la crise des missiles de Cuba, sortent deux films majeurs sur la guerre froide : Le Docteur Folamour de Kubrick (un film que je porte dans mon coeur jusque dans mon nom, donc ça veut dire que j'aime beaucoup) et Point Limite de Sidney Lumet qui, rappelons le, a réalisé pour premier film, 12 Hommes en Colère. A bon entendeur.

L'histoire débute d'ailleurs de manière similaire au film de Kubrick, à cela près que ce n'est pas une erreur humaine qui fout tout en l'air mais un dysfonctionnement d'une machine. C'est simple mais on peut brosser tout u éventail de thématique tellement forte et tellement puissante sans sortir d'une salle de contrôle que le film prend un pouvoir immense dès les premières minutes.

Je suis sincèrement désolé, mais je ne peux pas vous garantir que la suite sera sans spoiler, à vrai dire je peux même vous affirmer qu'il y en aura. Et même s'il n'y en a pas, je donnerai des émotions personnelles sur le dénouement du film qui pourrait en dévoiler déjà beaucoup trop. Donc pas la peine de vous dire de passer votre chemin si vous ne l'avez pas vu, et par "passer votre chemin", je veux bien dire qu'il faut courir se le procurer et le visionner de toute urgence !
Enfin bref.

Point Limite n'est pas un film qu'on voit venir. Ce n'est pas un film dont l'issue est évidente, et facile à lire dès les premières minutes. Un peu à la façon de Folamour, le film s'assume ici pleinement dans ce qu'il entreprend, c'est à dire nous faire serrer les fesses, en créant une tension de tous les instants et de nous scotcher à notre siège une bonne fois pour toute.
J'ai toujours trouvé Docteur Folamour bien plus pessimiste que la simple image que l'on puisse s'en faire à l'origine. Mais ça c'était avant Point Limite. Point Limite s'assoit sur toi et, progressivement, accentue la force avec laquelle il t'appuie dessus. Imaginez Maïté s'asseoir sur votre torse et appuyer de plus en plus jusqu'à étouffement. Vous aurez la même sensation que devant Point Limite (enfin à une ou deux vaches près, vous en conviendrez). Point Limite n'est pas un film pessimiste, c'est le pessimisme incarné.
Tout au long de la narration, il y a une succession d'évènements implacables qui ne laissent aucun espoir. Aucun. Que ce soit la faillite des hommes (j'entends par là, la crise de nerf du second en chef dans la salle de contrôle (j'ai oublié son grade désolé) entre autre), des problèmes diplomatiques ou le sentiment de terreur qui règne entre ces deux hyperpuissances que sont les USA et l'URSS, l'horreur ne peut être évité.

Il y a d'ailleurs deux points importants sur lesquels je veux me pencher en détail.

Tout d'abord, tout le monde ici est au courant de cette terreur qui existait durant la guerre froide, cette longue et glaçante épée de Damoclès, juste au dessus de la tête des gens. Et bien je peux vous assurer que Lumet s'applique à recréer ce sentiment de mal être jusque dans ton salon (ou dans ton train, pour vous placer dans les conditions de mon visionnage, mais là n'est pas la question). Et plusieurs fois je me suis surpris à regarder autour de moi, plusieurs fois je me suis demandé s'il ne fallait pas mieux arrêter le visionnage, de peur de voir la suite. J'ai flippé ma race pendant 2h, je ne m'en cache pas. C'était assez intense.

Et puis il y a la manière avec laquelle Lumet te (me) fout dans cet état. Sa mise en scène est incroyable, ses acteurs sont au diapason. On parle quand même d'un mec qui avait 40 ans au moment du tournage, et le voir diriger avec autant de maîtrise ses acteurs relève bien du savoir faire du bonhomme. Mais c'est surtout ses partis pris de réalisation qui m'ont le plus impressionné, ou comment te faire flipper avec des longs plans fixes sur un écran géant où des points blancs sont en mouvement. L'identification de l'enjeu est immédiat, et, même si l'on ne voit aucun plan extérieur à ces bombardiers, on s'imagine très bien cet enfer, cette implacable vérité qui ne peut être éviter.
Le huis clos est également un choix très intéressant et très intelligent car il participe volontairement et explicitement à ce sentiment d'impuissance ressentie par les personnages. Que ce soit la salle de contrôle, la salle de conférence ou le bunker du président, il n'y a pas de fenêtres, aucune ouverture. Le seul lien avec l'extérieur est un téléphone ou un écran. Et Lumet sait filmer ses personnage en situation de tension et d'enfermement (je ne fais pas l'affront de vous mentionner 12 Hommes en Colère, sorti 7 ans auparavant, on est d'accord ?), ce qui rajoute un côté incroyablement dérangeant au propos tout autant dérangeant que peuvent tenir les personnages.

Car l'écriture est merveilleuse. A partir d'une simple faille, tout s'enclenche, les idéologies s'opposent et s'affrontent, les relations entre les 2 géants sont tout aussi remarquables de tension, avec seulement l'aide d'un téléphone (!!) et on se rend surtout compte des choix qui doivent être pris, terribles, et des conséquences de ses actes. Le conseiller de guerre qui veut profiter de cet accident pour éradiquer la Russie, le président qui semble tellement sur de lui, mais qui est tellement tremblant intérieurement, des russes, qui ne sont pas mieux lotis et qui ne sont pas non plus montrés comme des méchants. Ce ne sont pas des bêtes, ce sont des hommes, qui semblent bien petits face à l'arme nucléaire. Et je ne vous cache pas que le dénouement (je n'en parlerai pas mais c'est ultra violent) de l'histoire m'a arraché des larmes, c'est juste horrible... Et encore une fois, deux hommes et un téléphone était présent à l'écran. Je ne cherche même plus à me poser la question, Sidney Lumet était un géant.

La même année, sortaient deux films majeurs, deux films géniaux et bouleversant à leur manière. Point Limite est une claque, une bombe à retardement qui n'attends que d'exploser pour te renvoyer chez toi, la tête bouillonnante, et se rappelant qu'on peut être heureux aujourd'hui. S'il existait des dimensions parallèles, il ne fait aucun doute que Point Limite se situerait dans la plus sombre.

PS : Un bisous sur la truffe spécial à Cultural Mind qui attendait ça depuis un certain temps. Sa critique, toujours aussi pertinente => http://www.senscritique.com/film/Point_limite/critique/23767599.
Et bien sur, pour ceux qui se sentiraient jaloux, je vous fais aussi des bisous sur la truffe. Mais moins qu'à lui :)
Strangelove

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