Le grand film de William Friedkin de la décennie 80's

Cinq années après le sulfureux et polémique Cruising, le réalisateur de French Connection revenait aux affaires cinématographiques avec un film faussement ancré dans l'esthétique du cinéma d'action de ladite décennie. Police fédérale, Los Angeles marque toujours les esprits, trois décennies plus tard, tant celui-ci dynamite les codes, du policier hard-boiled au buddy-movie, avec en toile de fond une critique au scalpel du Reaganisme triomphant. Film au succès honorable sur le sol étasunien, compte tenu de son absence de vedettes, l'accueil critique, à l'instar de sa réception à l'international, fut au contraire des plus mitigés, valant au long-métrage une réévaluation progressive au fil du temps.


Adaptation du roman éponyme de l'agent secret Gerald Petievich publié l'année précédente, Police fédérale, Los Angeles ressemble de prime abord, dans le contexte de la carrière de William Friedkin, au mitan des années 80's, comme une œuvre de compromis, voire pire un film opportuniste. Or il n'en est rien. En dépit d'une apparente remise en cause de son cinéma, suite à ses échecs passés dont le traumatisant Sorcerer, le réalisateur de Cruising n'a rien perdu de sa radicalité. Seule différence notable, l'homme a appris de ses erreurs, et avance désormais masqué pour mieux dynamiter les règles du genre. Dont acte.


Doté d'un budget de six millions de dollars, Police fédérale, Los Angeles a tout, sur le papier, de la série B basique. Film policier musclé à la croisée du buddy movie, avec sa galerie de personnages caractéristiques du genre, ce onzième long-métrage de Friedkin s'écarte pourtant des schémas préétablis. D'un scénario enquillant les clichés (le duo du flic expérimenté et du jeune coéquipier, le futur retraité qui meurt trois jours avant la fin), le réalisateur s'amuse à les prendre à revers. Méprisant envers sa petite amie et indic Ruth (Debra Feuer), condescendant envers son collègue Vukovich, Chance, à l'attitude de supra-mâle, se détourne ainsi de la nouvelle image cool et positive du héros des années 80's. Pire, celui qui pourrait être perçu comme un héritier de la figure héroïque réactionnaire des années 70's (de L'inspecteur Harry au Justicier dans la ville) s'en détache par son caractère obsessionnel et ses pulsions autodestructrices.


Méchant à la supposée sexualité ambigüe et au look androgyne, Rick Masters convoque idéalement la mythologie libérale du 40ème Président des États-Unis, celle du consumérisme et du culte de l'apparence (on imputera davantage la superficialité, troisième pôle de la trinité de l'ère Reagan, à Chance). D'une apparence éloignée du bad guy fictionnel, Masters se démarque aussi par son rapport à l'art. Adepte d'un Pop-Art jusqu'au-boutiste transposé aux valeurs de l'Amérique libérale, en dupliquant à grand échelle des billets de banque, Masters sert également de miroir à Friedkin. Par son intégrité radicale, l'artiste falsificateur préfère en effet brûler, au début du film et prophétiquement, un de ses autoportraits, plutôt que de le soumettre à la critique ou au public. Une réaction qui n'est pas sans rappeler les difficultés du cinéaste depuis près de dix ans, et une réponse illusoire à la désaffection du public dont il est victime.


Hommage déviant au Miami Vice de Michael Mann, le film se révèle ainsi être un pur produit de son époque : couleurs criardes, musique new wave tape à l'œil, mode vestimentaire des protagonistes, rien ne nous est épargné. En d'autres termes, Friedkin surjoue à l'envie le maniérisme 80's, inscrivant sa démarche, rien de moins, dans une entreprise de démystification en règle. Du propre aveu du réalisateur, le cinéaste avait pour ambition de décrire Los Angeles "comme un immense terrain vague gangrené par la violence et le cynisme sous un soleil brûlant". Du L.A. habituellement filmé, Friedkin s'écarte volontairement des lieux communs (Long Beach au hasard), davantage intéressé par les zones périphériques (les échangeurs d'autoroutes) et autres décors interlopes (la boîte de strip-tease où travaille Ruth). Mieux, en accord avec l'approche documentaire de son réalisateur (cf. son premier long métrage sur le condamné à mort Paul Crump), et avec l'aide de l'auteur du roman, ex-agent secret, engagé en tant que conseiller technique, Police fédérale, Los Angeles ne cache nullement l'ambition première de Friedkin, celle de mettre en scène un long-métrage réaliste qui dépeint le factice, offrant une mise en perspective plus globale désignant L.A. comme la cité des illusions.


D'un titre original indiquant explicitement la voie à sens unique dans laquelle se dirigent les personnages, To Live and Die in L.A. ne fait, dès lors, nulles ambages de son fatalisme sarcastique. Polar désabusé, Police fédérale, Los Angeles est, on l'aura compris, marqué par le sceau friedkinien. Violent, dépourvu de moral, brossant un monde régit par la manipulation, le scénario permet une fois encore au réalisateur de L'exorciste de réactiver ses anciennes obsessions, et de jouer avec ses marottes préférées, la frontière floue et permissive entre le bien et le mal, entre la raison et la folie, dont Richard Chance en est le parfait représentant. Obnubilé par la traque de Rick Masters, le policier court tête baissée vers un précipice inéluctable, sacrifiant autant ses règles d'éthique que ses capacités de jugement, à l'image d'une scène de course poursuite aussi dantesque que vaine.


Équivoque jusque dans sa forme, Police fédérale, Los Angeles est sans conteste le grand film de William Friedkin de la décennie 80's.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2017/12/police-federale-los-angeles-to-live-and.html

Claire-Magenta
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le 20 févr. 2018

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