Difficile de savoir par quoi commencer pour parler de Polisse. J’ai hésité à débuter de façon classique par un petit rappel de l’histoire du cinéma policier français, mais ça ne me paraît pas si judicieux. Peut-être parce que Polisse n’est pas un film policier « comme les autres », il ne s’attache pas spécialement à suivre les codes du genre, ni à divertir agréablement son spectateur. Polisse est film rageur, nécessaire, qui porte en son sein une énergie dévastatrice qui ne peut laisser le spectateur indifférent.


Le film policier a ses codes bien définis et rare sont ceux qui les défient avec succès. Dans 90% des cas le sujet du film est un (des) meurtre(s), et partant de là une enquête pour retrouver le(s) coupable(s). Par exemple, le duo de policiers mal assortis, jeune/vieux, blanc/noir, homme/femme est une presque une constante. Les codes ne sont pas forcément des entraves à la qualité, si le scénariste parvient à ne pas se cantonner aux clichés vus et revus.

On est bien loin de tout ça dans Polisse, puisque l’on suit la routine d’une équipe de la brigade de protection des mineurs, avec une mise en scène quasi documentaire. Maïwenn ne recherche pas la beauté du cadre ou de l’éclairage, mais plutôt la vérité chez ses acteurs. Comme elle l’expliquait en personne à la fin de l’avant première, elle ne donnait à ses acteurs des dialogues que pour qu’ils en suivent les grandes lignes. Pas question de jouer de façon théâtrale mais plutôt d’y mettre ses tripes, sa personnalité, de s’investir dans son personnage pour un jeu proche du naturel, quitte à sonner faux parfois. Ce procédé se montre très efficace pour convaincre le spectateur et l’embarquer en quelques minutes parmi cette équipe, après un générique de début doté d’une idée de génie (je vous en laisse la surprise).


Le film propose une sorte de mise en abîme par le personnage que joue Maïwenn, photographe candide qui joue en quelque sorte le même rôle que le spectateur. D’abord choquée, troublée, mais vite intégrée au groupe, elle s’habituera tant bien que mal à cette terrible routine, comme nous. Son personnage prend des photos sur le vif, dans les moments poignants, comme n’importe quel photographe, et le personnage de Joey Starr remettra cette pratique en question violemment en l’assimilant à du misérabilisme. Ce qui remet en question le film lui-même, puisqu’il touche le spectateur en le mettant face à des situations déchirantes. Maïwenn répond à ce problème en nous montrant aussi la « vraie » routine de ces policiers, comme leurs repas, leurs pauses, leurs sorties, et leur vie privée une fois le travail fini.

Ceci permet au film de ne pas être étouffé dans le cadre policier, de découvrir des personnages blessés dans leur vie personnelle, et ainsi d’avoir plus d’empathie à leur égard. On découvre à leur côté des affaires qui font froid dans le dos, on partage les interventions, les blagues, les doutes, les engueulades, on partage tout comme le fait la photographe, et ce très naturellement, sans le moindre ennui.

Ce qui décuple la charge émotionnelle du film et l’empêche de tomber dans le pathos, alors que le sujet s’y prête tout à fait, c’est le mélange fort entre humour et drame. Comme dans d’autres films policiers, les personnages blaguent à propos du pire simplement pour le supporter au quotidien, pour ne pas risquer de craquer. Le scénario se montre très intelligent lorsqu’il traite des conséquences sur la vie privée d’un tel travail, qui laisse forcément des traces et dont il est presque impossible de parler à son conjoint.

La transition est toute faite pour parler de Joey Starr, qui interprète son personnage de flic qui prend son métier trop à cœur avec une intensité et une vérité bouleversante. On peut penser ce qu’on veut de l’homme et de ses actes, mais force est de constater que c’est un grand acteur, et que son rôle dans ce film en marquera plus d’un. Il suffit de voir sa scène avec l’enfant au commissariat ou celle où il se confie sur son travail pour en être convaincu. Mais les autres acteurs ne sont pas en reste, Karin Viard et Marina Foïs les premières, bluffantes lors d’une scène commune d’une rare intensité (que je ne dévoilerai pas ici bien sûr).

Jusqu’ici je n’ai que peu parlé du sujet du film, et pourtant en voilà un difficile s’il en est. Le genre de sujet qui annonce au spectateur qu’il ne va pas passer un bon moment, qu’il faut avoir envie d’aller voir. Un sujet sensible et complexe, voire tabou, qui est rarement abordé aussi frontalement. Maïwenn choisit de nous immerger dans ces affaires sans fard, sans garde fou, et le spectateur que nous sommes assiste à de nombreux témoignages et interrogatoires perturbants, voire difficiles à soutenir pour certains. Entre la candeur et la naïveté des enfants, le mépris glaçant de quelques adultes et les réactions des policiers, tout est à la fois crédible et étudié pour déstabiliser le spectateur. Les affaires sont multiples, et le film n’est pas là pour nous prendre par la main et nous réconforter, on ne saura pas toujours comment telle affaire se finit, simplement parce que c’est ainsi que les policiers le vivent.


Par conséquent dès que les personnages ont un répit, le spectateur le ressent pleinement avec eux. La scène en boîte de nuit en est la parfaite illustration, la musique choisie est légèrement planante, les personnages sont heureux, dansent ensemble, on ressent l’union très forte du groupe et leur volonté d’oublier leur boulot pour un moment. L’instant est vécu pleinement, presque en temps réel, avec une certaine poésie et une humanité très forte. On rit avec eux, on vibre avec eux, et quand par la suite une terrible nouvelle arrive on ne la prend que plus violemment dans la figure. Le film fonctionne comme ceci à la perfection, ne nous laissant jamais de répit du début à la fin.

Plus qu’un simple « film sur la brigade des mineurs », ce qui serait bien trop réducteur, c’est surtout un film sur les hommes, leur beauté et leur cruauté, sur les limites de la justice et les frustrations de ces policiers qui ne peuvent pas aider tout le monde. On ressent pleinement cette rage, cette impuissance à travers plusieurs affaires, lorsque les personnages se heurtent à leurs supérieurs, à des impossibilités techniques ou logistiques, à des problèmes au sein de l’équipe. Ce travail ne peut laisser personne indemne, mais il faut des gens assez courageux pour le faire. Maïwenn parvient à nous bouleverser sans les glorifier ni les plaindre, et c’est probablement le plus bel hommage que l’on pouvait leur rendre.
blazcowicz
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le 27 août 2012

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