Les bonnes surprises en matière de films d'horreur ne sont pas vraiment fréquentes, si l'on pense à la pléthore de bonnes idées mal exploitées, aux petites pépites méconnues survendues, aux grands filons rentabilisés jusqu'à la moelle, ou tout simplement aux différences de sensibilité exacerbées dans ce registre. Et quand une telle chose se produit, on peut s'estimer heureux. C'est du côté du Canada (Black Mountain Side était aussi mystérieux et angoissant, centré sur un groupe d’archéologues isolés dans un coin de nature au Nord de la Colombie Britannique) qu'une telle épiphanie est née, dans l'anonymat le plus total : Pontypool est resté seulement deux semaines à l'affiche dans une seule salle de cinéma et a rapporté... 3 865 dollars.


Cet exercice constitue un exemple assez révélateur de la créativité qui peut naître de contraintes diverses et variées. Il découle de l'absence de moyens financiers une puissance artistique en matière de suggestion vraiment surprenante. L'environnement d'un studio de radio sert de décor quasi-exclusif (à quelques minutes près) à l'action, et Bruce McDonald parviendra à tirer de ce huis clos un crescendo en tension remarquable. Toute l'action extérieure passera à travers les filtres sonores (casques, micros, téléphones, enceintes, etc.), suscitant de manière presque mécanique une grande curiosité, en titillant l'imagination sans discontinuer. Et il suffira d'une petite poignée de protagonistes pour constituer le support d'une peur qui gangrène progressivement l'atmosphère : on apprend de manière indirecte que des émeutes font rage en ville, et qu'une forme étrange de virus en serait à l'origine. On épouse totalement le point de vue des personnages, comme si on était enfermés avec eux dans le studio, sans disposer de plus d'informations. L'implication dans la diégèse est très forte, et pour peu qu'on se prenne au jeu, l'immersion est totale.


On pourrait voir dans le contenu purement horrifique de Pontypool une simple relecture des films de zombies, mais ce serait quand même très réducteur. Encore une fois, la configuration technique du huis clos rigoureusement respectée ne permet qu'un accès très parcellaire à la vérité de l'extérieur : le film tout entier semble nimbé d'un voile flou, de l'émergence des premières anomalies jusqu'au tout dernier plan. Le fond de l'histoire ne sera jamais parfaitement explicité, nous laissant le soin (ou pas) de le décrypter autant que possible au rythme des événements. C'est un procédé déroutant, le chemin s'avérant aussi partiel que sinueux, mais on peut tout de même en tirer quelques conclusions sur la nature du mal qui ronge les personnes infectées à l'extérieur. Un virus dont le vecteur serait sa propre compréhension, l'intelligibilité d'une langue, comme si l'empoisonnement était intimement liée à la confusion de l'esprit. Le film restera (volontairement ou pas) un peu flou sur le mode de propagation et surtout de rémission de la maladie, mais cette constatation a posteriori n'aura à aucun moment entravé le plaisir de l'immersion du moment. La maîtrise de l'ambiance par la tension et la suggestion force le respect.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Pontypool-de-Bruce-McDonald-2009

Morrinson
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top films 2009, Mon cinéma canadien, Mes films d'horreur et Cinéphilie obsessionnelle — 2019

Créée

le 13 févr. 2020

Critique lue 249 fois

3 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 249 fois

3

D'autres avis sur Pontypool

Pontypool
Marius
7

La nuit des mots vivants

Magnifique relecture du film d'infection, ce huis clos radiophonique ontarien s'extirpe de la horde de productions consacrées aux zombies. Pas de virus mortel, pas de morsure, mais une contamination...

le 11 nov. 2010

26 j'aime

10

Pontypool
FoxmcCost
7

On Air

De temps je tombes sur un film du genre, un petit scénario basé sur une astuce quelconque qui le rends un tant soit peu original et qui, avec un supplément d'imagination, devient vraiment...

le 18 sept. 2011

18 j'aime

Pontypool
guyness
7

Mrs. French's cat is missing.

Un film barré, sans doute l'oeuvre d'au moins deux fous: le réalisateur et surtout l'auteur du scénar. Une scène d'anthologie de 2m20 (j'ai revu pour chronométrer) avec une performance d'acteur...

le 14 mai 2011

13 j'aime

3

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11