Ponyo sur la falaise
7.4
Ponyo sur la falaise

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2008)

Des films signés Miyazaki Hayao à ce jour, Ponyo sur la falaise s’illustre comme le plus léger, le plus innocent, le plus tendre, mais certainement pas le moins inventif ni le moins subtil. Si son atmosphère insouciante le distingue des films d’apparence généralement plus mature du réalisateur, on aurait tort de s’arrêter à ce vernis néanmoins fort agréable et de se détourner trop vite de ses richesses cachées. Ce serait oublier qu’il s’agit là du dixième long-métrage du grand nom de l’animation japonaise, qui n’a plus à faire ses preuves depuis longtemps, et que sa démarche de revenir à une approche plus humble à ce stade de sa carrière n’est peut-être pas si anodine.


En effet, là où un public trop jeune pourrait être perdu face au sérieux des enjeux de Princesse Mononoke, ou perturbé par les difformités des personnages du Voyage de Chihiro (qui n’auront d’ailleurs pas manqué de traumatiser le jeune garçon manqué que j’étais), Ponyo peut se dévoiler sans crainte à un enfant de cinq ans. De cette légèreté de ton, seuls se rapprochent Kiki la petite sorcière, néanmoins moins fantaisiste et propice à la rêverie, et Mon voisin Totoro, qui est cependant mâtiné de la lourde thématique de la maladie. Quant au Château dans le ciel, s’il se dote d’une poésie comparable, il se montre plus focalisé sur son scénario que ses personnages, et il lui manque de ce fait ce supplément de sincérité qu’ont les jeux de Sosuke et Ponyo.


Non, sans aucun doute, Ponyo sur la falaise est la plus inoffensive (ici dans un sens positif) des réalisations de Miyazaki Hayao, et il est particulièrement étrange de la voir émerger juste avant Le Vent se lève, qui est à l’inverse sans doute son film le plus austère et le moins imaginatif. On se rappellera cependant qu’au sujet de cette dernière production, le japonais a avoué vouloir se faire plaisir en portant à l’écran une histoire qui lui tenait à cœur, alors son amour pour l’aviation transparaissait déjà dans Porco Rosso (et, en moindre mesure, dans Nausicaa de la Vallée du vent et Le Château dans le ciel). On peut donc raisonnablement penser qu’en 2008, au moment de la sortie de Ponyo sur la Falaise, il était déjà dans l’optique de revenir à ce qui était important à ses yeux, et que ce film plus directement accessible en est le résultat.


Ses intentions, Miyazaki les a en effet plusieurs fois livrées en interview, l’une d’elle étant de revenir à un dessin plus simple et plus manuel. Alors que le trait de ses précédentes productions se complexifiait pour se rapprocher du réel, et dans cette démarche reposait de plus en plus sur les outils informatiques, il y a dans Ponyo une volonté de revenir aux sources de l’animation, en se préoccupant moins des détails mais plus de l’énergie des mouvements. On le perçoit immédiatement à la rondeur des personnages et la fluidité de leurs gestes, qui donnent le sentiment d’une spontanéité et d’une allégresse accrues. Cela leur confère par ailleurs un aspect immédiatement aimable, auquel seul le visage plus creusé de Fujimoto (qui ressemble à un Howl du Château ambulant vidé de sa jeunesse) fait, logiquement, exception.


En investissant le royaume de la mer, trop peu souvent exploré, et confisqué au regard des hommes si bien qu’il est le terreau de nombreux mystères, Miyazaki a en outre trouvé un autre moyen de libérer sa plume. Sous la surface de l’eau qui fait écran avec le monde humain, il est d’autant plus aisé de donner libre cours à ses fantaisies qu’il s’agit là d’une étendue énigmatique et chargée de légendes. N’oublions pas non plus que, plus pragmatiquement, l’eau en tant qu’élément a des propriétés ludiques et captivantes, qui permettent aux yokais marins de Ponyo de jouer avec les formes et les vagues, et qui transmettent tout à la fois une sensation de légèreté et de puissance, communiquant à l’animation leur propre fluidité.


Cependant, ce surplus de douceur est loin de se cantonner uniquement aux visuels. Miyazaki a ainsi choisi de placer le point de vue de l’histoire entre les yeux de Sosuke, garçonnet de cinq ans, et c’est ainsi toute la naïveté et l’inventivité de l’enfance qui rejaillit sur l’œuvre. Ainsi, bien que l’univers dépeint par Ponyo soit en grande partie réaliste, l’enfant ne s’étonnera jamais de s’être lié d’amitié avec un poisson devenu humain, ni d’avoir fait face à des yokais marins. Il est à cet âge où la rationalité n’a pas encore pris le pas sur la curiosité, et où toute expérience est accueillie sans méfiance. Il embrasse ainsi les événements qui surviennent avec un enjouement et une bonne foi énergisantes, et incite le spectateur à se laisser aller au même émerveillement.


Ainsi, jamais la poésie brute de Ponyo ne heurtera la froideur du scepticisme. Même la mère de Sosuke ne remettra jamais en doute ses paroles, se contentant de les accueillir sans poser de questions. Si on sent qu’elle n’y souscrit pas totalement dans un premier temps, elle sait se couler humblement dans un rôle d’accompagnante plutôt que de chercher à couper court aux rêveries de son fils. Seules les vieilles femmes de la maison de retraite se montrent inquiètes, mais non parce qu’elles disqualifient les propos de Sosuke : au contraire, parce qu’elle leur accorde du crédit et les associent à de mauvaises augures. Ainsi se lie une complicité entre la jeune et la vieille générations, formant un pont au-dessus des adultes simplement trop occupés à mener leur vie.


Pour autant, cela n’empêche pas Ponyo sur la falaise de traiter de thématiques plus profondes. Si Miyazaki dira ne pas avoir cherché à en faire une fable écologique, il parvient néanmoins difficilement à masquer l’importance du sujet à ses yeux. La pollution des océans, si elle n’est pas au premier plan, est néanmoins visible et inquiète Fujimoto. On croit d’ailleurs entrevoir, dans sa volonté de restaurer les océans à leur état primaire, peuplé de fossiles revenus à la vie, le fantasme d’un monde pré-humanité, dont les créatures aussi gigantesques que placides ne sont pas sans rappeler les insectes vivant sous la surface de Nausicaa de la Vallée du vent, tandis que les yokais marins évoquent les esprits des forêts de Princesse Mononoke, corrompus par le désir de vengeance.


Le thème central, cependant, ne se situe pas dans d’aussi vastes enjeux, mais dans un combat beaucoup plus intime. Si on y accordera une place secondaire, tout absorbés que nous sommes par la relation naissante entre Sosuke et Ponyo, on s’aperçoit cependant que le nœud du scénario se situe dans le personnage de Fujimoto, et dans son acceptation difficile de l’indépendance de sa fille, symbolisée par les bras et les jambes qui lui poussent et qui confèrent tant d’horreur au sorcier. Père protecteur, qui enferme littéralement Ponyo dans une bulle, et confie ouvertement son désir de la voir rester pure et innocente à jamais, il craint de la voir corrompue par le monde des hommes comme un père humain se montre méfiant à l’égard des premiers partenaires de sa fille.


L’analogie se poursuit d’ailleurs lorsque Fujimoto justifie sa réticence par le fait d’avoir lui-même, autrefois, appartenu à l’espèce humaine : si tant de pères s’inquiètent vis-à-vis des partenaires de leurs filles, n’est-ce pas parce qu’eux aussi se souviennent, à leur âge, s’être montrés irresponsables ou cruels, intéressés ou indélicats ? Pour Fujimoto comme pour les parents humains, le rôle d’éducateur tient ainsi une fonction rédemptrice, enjoignant à se repentir de ses péchés passés… mais aussi à admettre sa propre faillibilité, et celle d’autrui. C’est ainsi en acceptant de faire confiance à Sosuke à l’égard du bonheur de sa fille que le sorcier peut offrir à tous une issue heureuse, se libérant lui-même du poids d’une responsabilité excessive.


A ce sujet, on peut contraster son attitude avec celle, plus permissive, des mères de Sosuke et de Ponyo. Si leurs personnages sont très contrastés, l’une étant toute en impulsivité et nervosité, la seconde se montrant d’une sérénité radieuse qui la hisse indiscutablement au-dessus de l’agitation des mortels, elles connectent sans difficulté à travers leur amour pour leur progéniture, et la sage bienveillance qui en découle. Figures d’acceptation et d’encouragement, elles témoignent ainsi d’une profonde foi qui se cristallise dans la confiance instinctive et mutuelle qu’elles se portent, convaincues qu’elles partagent un objectif commun en tant que mère, celui de l’épanouissement de leur descendance. C’est, au fond, cette présomption de bonté qui inonde toute l’œuvre.


Enfin, n’oublions pas qu’Hisaishi Joe signe ici une de ses bandes-originales les plus mémorables qui, si elle n’a pas la puissance aux accents mystiques de celles de Nausicaa de la Vallée du vent ou de Princesse Mononoke, accompagne à la perfection les tonalités tendres de Ponyo sur la falaise. Elle contribue ainsi à en faire l’une des expériences les plus émotionnellement brutes réalisées par Miyazaki, embrassant avec amplitude les mouvements d’allégresse ou les joies plus simples et innocentes. Elle comporte par ailleurs une plus grande proportion de morceaux chantés, qui font écho aux berceuses dont on enveloppe les enfants, et sur lesquelles on imagine sans mal Ponyo et Sosuke s’endormir.


Ponyo sur la falaise se révèle ainsi être, que ce soit sur le plan visuel, sonore ou thématique, l’une des œuvres les plus généreuses et attendrissantes de Miyazaki Hayao. S’il n’est pas exclu qu’elle déçoive ceux qui admirent ses compositions plus sophistiquées et matures, on ne peut que s’enthousiasmer à l’idée que le réalisateur ait proposé, avec tant de cohérence et de maîtrise, une autre voie pour son animation, introduisant une variété de ton qui ne rompt pourtant en rien la filiation avec ses autres travaux. Ainsi, Ponyo courant sur les yokais marins au son de Nami no Sakana no Ponyo se fait l’écho enfantin et insouciant de Nausicaa portée par les Ohms sur les notes de Tooi Hibi, et les deux jeunes filles partagent la même force de volonté, la même énergie inspiratrice, la même sensibilité compréhensive dont ne se départissent jamais les personnages du cofondateur de Ghibli.

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le 14 oct. 2017

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Lila Gaius

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