Porco Rosso
7.7
Porco Rosso

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1992)

Totoro et compagnie : il n'y a pas que dans le cochon que tout est bon.

Lorsque l’on regarde les débuts des studios d’animation Ghibli, on remarque qu’il y avait un équilibre au niveau des sorties : dans un premier temps un film familial voire d'aventure capable de parler à tout les publics avec Le château dans le Ciel et Mon Voisin Totoro, puis un film se voulant plus réaliste et plus ciblé au niveau de ses spectateurs comme Le Tombeau des Lucioles et Souvenirs goutte à goutte d’Isao Takahata. Bien sur c’est pas pour autant qu’Hayao Miyazaki s’enfermait dans une politique de ton unique au travers de son cinéma, et il s’est dévoilé plus d’une fois avec un visage parfois cru et/ou une description historique plus amère des univers qu’il représente.


Deux films de sa filmo sont à citer : Le Vent se lève qui devait servir de conclusion à sa carrière (ce qui n’est plus le cas maintenant) et Porco Rosso qui, lui en revanche, conserve ici une pointe de fantastique par l’apparence semi-humaine/semi-cochon de son héros Porco Rosso. A cela près que s’ajoute un détail non négligeable, puisque son apparence ne choque ni ne perturbe qui que ce soit : son apparence est banal pour tous, des pirates du ciel comme de ses amis, de la population ou de son rival en la personne du pilote américain Donald Curtis


(ce dernier faisant d’ailleurs une remarque à ce sujet avant de quitter le film dans les derniers instants, mais j’y reviendrais).


Porco Rosso est un personnage de son époque, un demi-ermite à la réplique parfois bien délectable dont les idéaux sont de plus en plus en désaccord avec la politique italienne (la montée en puissance du fascisme, le recrutement par la force, son passif de soldat) et surtout avec la nature humaine. La morale anti-guerre accompagne une fois de plus Miyazaki ici, en montrant en Porco un ancien pilote du ciel se complaisant dans son renfermement au vu de ses convictions mais amené malgré lui à devoir réévaluer son jugement sur la nature humaine.


C’est d’ailleurs l’une des grandes qualités parcheminant la filmographie d’Hayao Miyazaki : partir d’une structure narratif simple d’apparence mais en y distillant continuellement ses thématiques anti-guerre, pro-écologique et les valeurs humaines auxquelles il croit. Baignant ici la revanche d’aviateur de Porco dans la mélancolie et les remords mais également d’espoir et d’enthousiasme au travers de ses personnages.


Gina étant enfermée elle aussi dans le passé et dont l’hôtel Adriano qu’elle tient peut faire office de pénitence pour y enfermer son passé (le tableau et ses photos en noir et blanc dont une montrant Porco encore humain), là ou l’île de Porco peut être considérée comme son lieu d’exil


après avoir vu ses compagnons mourir durant la grande Guerre.


Tandis que de l’autre côté, Donald Curtis a le regard pointé vers l’avenir que ça soit pour ses amours, son esprit de compétition à l’encontre de Porco ou ses rêves de réussite en tant qu’acteur. Alors que la jeune mécano Fio Piccolo (que je trouve injustement considérée par rapport à ses compères féminines Ghibli comme Nausicäa, San, Chihiro, Sheetah ou encore Arrietty) représente une figure progressiste pour la femme et se démarque tant pour son caractère et son esprit d’entreprise que sa passion pour la jeune mécano et les contes d’aviateur.


Si chacun d’eux se distinguent sur le plan personnel et relationnel, c’est parce que chacun apporte quelque chose à l’autre et inversement : Porco Rosso s’ouvre à la jeune Fio au fil de leur voyage alors que cette dernière permet au spectateur de connaître un peu plus l’aviateur jusqu’à la plus belle scène du film (et peut être l’une de mes scènes préférés du cinéma). Curtis courtise et encourage Gina à quitter son hôtel et fait preuve d’un bon esprit, le passif de Gina et Porco contribue à la douce et amère mélancolie ambiante du film tandis que la rivalité entre les deux pilotes du ciel sont à la fois les parties les plus impressionnantes sur le plan visuel et aussi les plus drôles (je ris encore pleinement de la tournure de leur affrontement final).


Car de ce côté-là, aujourd’hui encore, l’animation a toujours autant de gueule : la beauté picturale des plans s’apparentant souvent à des peintures animés (le vol de Porco sur une partie de mer et une parcelle d’île éclairé par le soleil tandis que le reste est masqué par les nuages) et devenant par ailleurs vecteurs émotionnels pour le public par la chimie esthétique et musicale qui en ressort ? D’autant qu’il offre une représentation graphique aussi charmante que dépaysant de la mer adriatique et des cieux mis ici à l’honneur.


Bien sur, que dire encore une fois de la splendide partition lyrique et symphonique de Joe Hisaishi ? Si on devait évoquer la question du romantisme et de la déclinaison d’une ère qui se termine, l’instrumentation d’Hisaishi est ici tout indiqué pour porter avec mélancolie la fin de l’entre deux-guerres et d’un nouveau conflit inévitable.


D’autant qu’il accompagne également les moments de légèretés et de bon vivant qui ne sont pas dépouillé de sous-texte : déjà grâce aux pirates du ciel qui sont d’excellent comique, capable de s’agenouiller face au propos de bon sens d’un mécano n’ayant pourtant jamais piloté de sa vie tout en cherchant à trucider un cochon non pas pour ses appartenances politiques supposable (Porco Rosso signifiant porc rouge en italien et désignant à l’époque ceux qui étaient contre le régime dictatorial à cette époque en Italie) mais simplement parce qu’il leur a souvent mis bien profond durant leurs vols.


Mais aussi par la participation entièrement féminine à la reconstruction de l’hydravion de Porco, représentant un peu plus l’évolution fasciste en Italie et le départ des hommes pour la guerre.


Toute cette cohérence de ton et ces variations d’atmosphère entre chagrin intérieur insistant et humour bon public permettent de faire passer énormément de message, y compris sur l’état de Porco en fin de film :


qu’il soit redevenu humain étant chose supposable après avoir retrouvé foi en l’humanité et son hydravion ayant été aperçu dans le jardin de Gina, mais je pense qu’il est aussi possible si on s’en tient à l’insulte de l’époque en Italie qu’il est finalement été contraint de mener la guerre contre sa volonté et qu’il se soit donc rendu face à l’armée de l’air pour permettre à Curtis et autres pirates du ciel de prendre la fuite. A chacun son interprétation !


Mention toute particulière pour la version française du film qui se paye le luxe d’un Jean Reno initiant ici son tout premier doublage, et autant dire qu’il ne s’est pas raté le bougre. Puisqu’il donne à Porco Rosso toute sa dégaine par son ton vocal très chargé et sobre mais sans tomber dans le piège de la monotonie, de même pour Jean-Luc Reichmann qui s’en tire également avec les honneurs mais dont la présence au doublage reste néanmoins un grand mystère à mes yeux (non vraiment, j’ai beau retourner la question dans les tout les sens, je ne comprends pas comment il est arrivé à participer à un doublage).


On nous délivre un conte doux/amer sur la fin d’une époque, fusionnant un récit simple avec ses bouleversements historiques réels et un grand attachement pour ses personnages jouant finement sur le fil de l’équilibriste, Hayao Miyazaki démontrant qu’il est aussi bien capable de jouer sur le plan du fantastique et de l’humour que sur le drame avec finesse. Les regrets du passé peinant, comme l’hydravion de Porco Rosso, à s’envoler vers un autre ciel, restant enchaînés à notre cœur et à notre esprit et avec lesquels il faut continuer à avancer et à vivre.

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le 24 sept. 2019

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