Céline Sciamma isole délibérément ses trois femmes des contraintes de leur époque, personnages principaux d’une intrigue résolument moderne, et à laquelle on peut facilement s’identifier. Après une première partie mettant en scène un jeu de chat et de la souris méfiant, le départ de la mère va permettre l’abolition des règles de genres et de classes entre les trois femmes, qui vont se souder brièvement en une communauté intime : Héloïse qui refuse le piège d’un mariage arrangé, Marianne qui cherche à contourner le carcan social de l’époque pour s’affirmer en tant qu’artiste et grandement troublée par l’objet de sa peinture, et enfin Sophie la servante qui doit assumer seule la charge de son avortement. Le film est résolument féminin, mais par autant féministe à outrance, car jamais la réalisatrice ne développe une critique ou des actions en décalage avec l’époque qu’elle a choisie. Au contraire elle met en scène des personnages qui cherchent leur émancipation, l’expression de leur émotions, en somme leur liberté, au sein des contraintes qu’on leur imposent.


Les dialogues sont acérés et permettent un excellent rythme des joutes verbales entre les deux actrices principales, contre-balançant un film aux plans volontairement allongés, comme un reflet du languissamment de ses personnages. La performance des actrices est juste sublime, et la cinématographie leur rend honneur, avec une photographie tout en délicatesse. Si les scènes extérieures sont parfois un poil saturées, les intérieurs à la lumière du feu ou des bougies sont très beaux : cette scène belle et sans voyeurisme où Noémie Merlant sèche nue au coin du feu, ou celle qui donne son titre au film, avec une Adèle Haenel autour d’un feu de plage, incandescente au propre comme au figuré. La reconstitution historique est également de bonne facture et n’en fait ni trop ni trop peu.


Céline Sciamma dresse de nombreux parallèles entre l’Art et l’Amour, piégés tous deux entre cadre académique/social et désir d’émancipation individuelle. L’apprentissage des émotions par Héloïse rappelle celui de la peinture délivré par Marianne en introduction du film. « Quand est-ce que l’on sait que cela est fini ? » demande Héloïse sur la peinture « On ne le sait pas. (…) à un moment on s’arrête. » lui répond Marianne, comme un parallèle à leur brève mais ardente relation, dont la fin est inévitable.


Portrait de la jeune fille en feu est donc un film élégant et gracieux porté par des actrices convaincantes et émouvantes. A l’aide d’Orphée et Vivaldi, il accompagne ses protagonistes dans la découverte de la Beauté et de la Sublimation, transformation tragique en souvenir éternel et vivace de ce qui a pu exister.

AlicePerron1
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le 23 sept. 2019

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Alice Perron

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