Depuis sa sortie en septembre 2019, Portrait de la jeune fille en feu m’intriguait. Je tournais autour de cette oeuvre, en me demandant si je serais en mesure de l’apprécier, tant elle me semblait inaccessible. Mon manque de confiance en mes capacités d’analyse, à tort ou à raison, tende à m'amener vers des œuvres dites plus “facile”. Les critiques élogieuses à son encontre et la présence d’Adèle Haenel, dont chaque apparition dans 120 battements par minute et Le daim illuminée le film de son aura, ont fini par venir à bout de mon indécision. Malheureusement, entre les études, la grève des transports puis le confinement, trop de temps s’était écoulé. C’est donc dans l’intimité de mon salon que je découvre la nouvelle oeuvre de Céline Sciamma.


De quoi ça parle?


Durant le siècle des lumières, Marianne doit réaliser le portrait d’Héloïse pour son mariage. Loin du regard des hommes, une passion va se nouer entre elles.


Avec leurs gestes plein de charmes, dites moi où sont les hommes?


Au début, j’ai eu un sentiment de rejet à l’encontre de l’oeuvre. C’est surement dû à mon statut d’homme face à la scène où Marianne (Noémie Merlant) plonge dans la mer pour récupérer ses portraits. Elle est sur une barque, entourée par des hommes. Elle est comme seule parmi eux. C’est donc seule, qu’elle sauve son matériel puis va accéder à la demeure de la comtesse (Valeria Golino) au sommet d’une falaise.


Cela m’interroge sur le propos de son auteure. La femme n’a pas besoin des hommes ou les hommes ne font pas attention aux femmes. Dans le premier cas, elle a traversé la mer grâce à ses hommes. De plus, en l’absence de dialogues entre eux, on peut s’interroger sur le comportement de chacun. Dans le second cas, l’homme déposant son matériel puis partant sans un mot, me laisse croire qu’ils les négligent mais aussi, qu’ils les laissent se débrouiller. Dans tous les cas, le manque de communication pénalise chacun d’entre eux, n’est-ce pas là, la vraie source du problème entre les hommes et les femmes, mais plus précisément entre les humains en général.


Dans la demeure de la comtesse, les hommes sont absents. Pour autant, elle fait figure d’autorité et les représente. Elle veut marier sa fille Héloise (Adèle Haenel). En cela, elle est dans la reproduction et se conforme aux attentes de la société. Une femme doit se marier et enfanter. Elles n’ont pas le choix, ni même celui de leur futur compagnon. Durant le séjour de Marianne, la comtesse va s’absenter. Les femmes vont vraiment pouvoir être entre elles et vivre selon leurs envies, même si l’ombre de l’homme reste omniprésent par le biais de la servante Sophie (Luàna Bajrami), enceinte de l'un d'eux.


C’est dans les non-dits que se dessine l’envie


Marianne n’est pas annoncée comme peintre auprès d’Héloïse, mais en tant que dame de compagnie. Cette dernière n’accepte pas de poser pour son portrait, afin de reculer son mariage. C’est donc par l’observation que Marianne va devoir élaborer sa peinture. Elle pose son regard sur les traits de son visage, de même que sur ses mains, ce qui est apparent de sa personne lors de leurs balades sur les hauteurs des falaises et sur la plage ou la musique des vagues se fracassant sur les récifs, les accompagne. Les échanges sont rares entre elles. Ce sont des jeux de regards, chacune s’attardant sur l’autre à tour de rôle, comme un round d’observation. Héloïse est d’apparence austère, en ne laissant rien paraître de ses émotions. Marianne s’en plaindra auprès de la servante Sophie, en lui disant “Elle ne sourit jamais” et cette dernière de lui rétorquer “Avez-vous essayé d’être drôle?”. C’est un échange bref, drôle et touchant.


Au milieu de ses moments contemplatifs, l’oeuvre prend le temps de l’échange entre ses protagonistes. C’est souvent un moment chaleureux où chacune se rapproche de l’autre, comme lors d’une discussion entre Marianne et la comtesse. Cette dernière va exprimer un sentiment en italien et va être agréablement surprise qu’on lui réponde aussi dans sa langue natale, ce qui va la faire sourire et la détendre. Souvent, il suffit d’un rien pour que l’atmosphère soit plus agréable pour chacun.


La relation entre Marianne et Héloïse va évoluer au fil des leurs balades. Les regards sont différents, l’observation laisse place à la séduction. Les bouches sont entrouvertes, les mots se bousculent dans leurs têtes échouant au bord de leurs lèvres, en osant pas avouer leurs sentiments. Elles continuent de se tourner autour et au détour, apparaît un sourire, ouvrant une brèche qui ne cherche qu’à s’enflammer à leurs contacts.


Sa perception de l’oeuvre et de son interprétation


Le film fait référence au mythe d’Orphée et plus particulièrement à sa femme Eurydice. Marianne et Héloïse vont partager leurs interprétations au sujet du fait qu’il se retourne après l’avoir ramené des enfers, ce qui va causer la perte définitive de celle-ci.


Céline Sciamma transpose ce mythe à son oeuvre, à travers la relation entre Marianne et Héloïse. Comme pour ses deux héroïnes, elle nous laisse faire sa propre interprétation selon notre culture et sensibilité. Il en va de même pour chaque œuvres dans différents domaines artistiques, comme la peinture, littérature et sculpture, entre autres.


A travers ses échanges entre les personnages, la réalisatrice pose des questions sur notre société, sur la place de la femme, nos rapports à l’autre ou la liberté. Héloïse n’est pas libre de ses choix, comme ce fût le cas pour sa sœur aînée, préférant mettre fin à ses jours pour ne pas subir les décisions imposées par la société à travers sa mère. Au contraire, Marianne semble jouir du libre arbitre. Pour autant, Héloïse lui posera cette question : Seule, c’est être libre?


Selon Baruch Spinoza, la liberté est une illusion : l’homme n'est qu'un élément de la nature semblable aux autres, soumis aux mêmes lois. De ce fait, Marianne subit aussi les diktats de la société à travers la situation d’Héloïse. Dans la société du XVIII siècle, leur relation ne peut exister où du moins, pas au grand jour et de manière pérenne. Il en va de même à travers les autres siècles, même si la société a évolué.


Enfin, il y a le jeu des couleurs, à travers les robes qu’elles portent. Marianne est en rouge puis va passer au bleu, comme influencée par Héloïse et la Comtesse privilégiant cette couleur. Pour le portrait, Héloïse pose dans une robe verte. Ce n’est pas évident d’analyser ces choix de couleurs, tant elles ont différentes interprétations. A moins que cela revient à notre perception de l’oeuvre selon nos influences où les contradictions de l’humain.


Un portrait inachevé…


L’oeuvre ne m’a pas entièrement séduite. Son côté théâtral, propre au cinéma français, a parfois tendance à m’agacer, surtout dans sa diction très mécanique. Son émotion est visuelle, à travers les regards et la mise en scène de Céline Sciamma. Noémie Merlant et Adèle Haenel sont magnifiques. On vibre de leurs mots, de leurs échanges, de cette passion qui les consume et nous embrase. Entre elles, Luàna Bajrami parvient à exister pour former un trio chaleureux en l’absence de Valeria Golino et de son personnel. Sa forme est séduisante, ses actrices sont magnifiques mais elle me laisse un goût d’inachevé par son académisme, de même que ma difficulté à cerner sa fin.

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le 16 avr. 2020

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Laurent Doe

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