Première scène. Un acteur immédiatement reconnaissable au sein du paysage cinématographique français, Vincent Lindon. Pas de musique. Il fait nuit. L’homme est dans sa voiture, il semble paniqué, face à une situation inhabituelle pour lui. Il est filmé dans son véhicule, conduisant de plus en plus vite. Les premiers crédits du générique défilent en alternance avec les premières images intrigantes du long-métrage. Soudainement, après quelques secondes de panique, le conducteur s’arrête brusquement, puis regarde quelque chose (ou quelqu’un ?) que nous ne verrons pas. Titre du film.
Flash-back. On retrouve notre personnage, au quotidien, dans une scène banale comme nous en avons vu des milliers dans le cinéma hexagonal. La femme s’apprête à partir à au travail, l’homme s’occupe de leur enfant. En quelques plans à peine, quelques détails, un décor est planté. Soudain, on sonne à la porte du domicile de la petite famille. La police débarque, annonce une perquisition de l’appartement et l’arrestation de la mère de famille (Diane Kruger) pour meurtre. Le couple est complètement désorienté par cette intrusion policière, la scène s’arrête sur l’enfant en pleurs…
En à peine une dizaine de minutes, le cadre est planté : l’homme se retrouve seul à gérer son fils, et tente de faire innocenter son épouse, injustement accusé d’homicide volontaire ; malheureusement, tous les éléments sont contre elle, et la jeune femme est alors condamné à vingt ans de réclusion. L’homme décide alors de faire évader son épouse, et prépare alors son plan pendant plusieurs mois…


Nous sommes à l’automne 2008. Fred Cavayé et son co-scénariste Guillaume Lemans débarquent dans le cinéma français, un peu hostile habituellement au thriller, avec « Pour Elle », film modeste, mais hyper efficace. Voulant sortir du schéma des films d’action à la Besson/Europa Corp (Taken, Le Transporteur) et des polars d’Olivier Marchal, les deux hommes décident de proposer à leur public un long-métrage ancré dans le quotidien, mettant en scène un « monsieur-tout-le-monde », un banal prof de français embarqué malgré lui dans une situation rocambolesque, et qui va tout tenter pour y remédier, tout en composant avec son quotidien : ses relations difficiles avec ses parents, son fils, sans compter sa femme incarcérée et se laissant peu à peu mourir de désespoir.


Guillaume Lemans est un jeune scénariste qui s’est, peu à peu, imposé comme un des scénaristes frenchy les plus prometteurs et talentueux de ces dernières années. Maintenant producteur (on y revient), il impose dès ce premier métrage de Cavayé sa patte, sa marque de fabrique qui va faire le succès de « Pour Elle » : une situation, une mise en place d’abord réaliste, banale, typiquement marquée cinoche Made In France, incarnée par des personnages banals, des gens comme vous et moi ; puis faire basculer petit à petit l’histoire vers des situations de plus en plus rocambolesques, plus ancrées dans le cinéma de genre, le thriller.
A ce titre, la scène pivot du film, déjà entraperçue dans le générique, opère une véritable bascule dans le récit : jusque-là très ancré dans le quotidien, la réalité grisonnante de son « héros », l’histoire bascule en une scène installant un point de rupture dans le pur thriller, une séquence qui va accélérer le film jusqu’à son climax de 15 minutes. Malins comme des singes, ayant soigneusement préparé son spectateur en gardant cet aspect réaliste et ces personnages quelconques, Cavayé et Lemans peuvent alors inscrire complètement leur long-métrage dans une optique plus spectaculaire, sans pourtant perdre de vue le public.


La grande force du métrage est également de ne pas s’embarrasser de dialogues et détails inutiles : sans pour autant négliger la psychologie ni les interactions entre protagonistes, le récit va droit à l’essentiel, n’encombre pas son récit de dialogues qui alourdiraient le rythme : à ce titre, les quelques secondes entre Lindon et son père, après que ce dernier ait découvert le pot aux roses, sont émouvantes, bien que ne durant que quelques secondes et ne sombrant pas dans l’emphase.


Après ce beau succès populaire, malgré une campagne promo réduite et une affiche pas vraiment vendeuse, Cavayé et Lemans récidiveront deux ans plus tard avec « A Bout Portant », poussant en un long-métrage entier le climax de leur précédente œuvre, via l’histoire d’un… futur infirmier ayant trois heures pour faire sortir de l’hôpital une figure du banditisme activement recherchée, sous peine de ne plus revoir sa femme. 75 minutes de course-poursuite et de rebondissements quasi non-stop, sans perdre de vue son public, faisant du film une réussite toute aussi grande que « Pour Elle ».
Guillaume Lemans, depuis, a continué son bonhomme de chemin. L’homme, fan du cinéma populaire français des années 1960-1970 et de cinéma de genre (fantastique, horreur, science-fiction) a depuis signé plusieurs scénarios. Outre Fred Cavayé, il a également entamé une collaboration avec le jeune metteur en scène Yann Gozlan, via le film d’horreur «Captifs » et surtout « Un Homme Idéal », thriller psychologique incarné par Pierre Niney dans le rôle d’un aspirant écrivain s’appropriant le manuscrit d’un livre jamais publié, mémoires d’un vétéran du conflit franco-algérien, et connaissant la gloire et la célébrité jusqu’à être la proie d’un maître chanteur.
En 2018, ayant fondé sa propre boîte de production « Esprits Frappeurs », Lemans a connu une triple actualité depuis le début de l’année 2018. D’abord via une nouvelle collaboration avec Gozlan pour le scénario de « Burn Out », film d’action noir mettant en scène des « go fast » à moto effectuées par un jeune casse-cou pour le compte de mafieux. Ensuite en adaptant un romain de Marc Page, « La Nuit A Dévoré Le Monde », récit d’un agoraphobe enfermé dans un appartement suite à une invasion de morts-vivants dans Paris, réalisé par Dominique Rocher.


Enfin, projet doublement important pour notre jeune scénariste puisqu’il officie également en tant que coproducteur, « Dans La Brume », visible en salles depuis le 4 avril, film catastrophe avec Romain Duris et Olga Kurylenko, père et mère d’une file atteinte d’un mal incurable, et contraints de survivre après l’apparition d’une brume étrange décimant la population parisienne. Encore des gens ordinaires face à une situation extraordinaire…

HuriotDavid
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le 11 avr. 2018

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David Huriot

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