En 1964, Sergio Leone commence une trilogie cinématographique qui va durablement imposer Clint Eastwood comme l’une des figures majeures d’Hollywood, alors que la carrière de l’acteur végétait sans réel succès. Le rôle de l’homme sans nom de la trilogie du dollar est d’abord proposé à Charles Bronson, qui l’a refusé. Eastwood l’accepte, et, en 1964 sort « Pour une poignée de dollars ».


Dans une petite ville à la frontière du Mexique et des Etats-Unis débarque un cavalier solitaire à l’allure débonnaire. Grand et longiligne, le visage masqué d’un chapeau et le corps dissimulé dans un poncho, l’inconnu se dirige tranquillement vers la cantina locale, mais est pris comme souffre-douleur par une bande d’individus antipathiques et violents qui effraient sa monture et rient à ses dépens.


Le tenancier de la cantina, un brave mexicain un brin grincheux, mais néanmoins honnête et bienveillant, explique au mystérieux voyageur que la ville est le théâtre de luttes incessantes et meurtrières entre deux familles criminelles rivales, les Baxter et les Rojos. Les deux gangs, qui opèrent dans l’impunité la plus totale, prospèrent de la contrebande d’armes et d’alcool entre les deux contrées. Sans rien perdre de son aplomb insolent et de son curieux détachement, le nouveau venu décide alors de profiter de cette rivalité pour gagner un peu d’argent…


Dans ce film, où il ne fait pas encore montre de la même maîtrise et du même génie que dans ses chefs d’œuvre, « Le Bon, la Brute et le Truand » et « Il était une fois dans l’Ouest », Sergio Leone pose toutefois les bases de son style de western et développe ses premières thématiques.


Ici, l’on s’attache à suivre un personnage sans nom, dont l’on ne connait rien du nom ni du passé, mais qui démontre une habileté aux armes remarquable et une intelligence rusée acérée. Leone s’applique à décrire un système vicié et meurtrier : une ville où s’affrontent perpétuellement deux gangs, mais qui, dans le même temps, possède une certaine inertie, une stabilité qui n’est pas sans rappeler « Les rivaux de Painful Gulch » (en nettement plus sombre, point de concours de tarte aux myrtilles ou de taille de bêtes ici…). L’arrivée de l’inconnu constitue alors le grain de sable qui va dérégler cette mécanique bien huilée et bouleverser le statu quo qui régnait alors.


Le réalisateur crée une belle atmosphère de ville, et propose un casting assez intéressant et varié. Le méchant, Ramon, Gian Maria Volonté, vu chez Melville dans « Le Cercle rouge » quelques années après, n’est toutefois pas très charismatique – rien à voir avec Lee Van Cleef par exemple. Lui mis à part, il y a quelques personnages sympathiques et attachant, tels le tavernier, campé par un bon José Calvo.


Le gros point fort du film réside dans le charisme de Clint Eastwood. Grand et longiligne, sorte de gravure de mode au visage inquiétant, il promène sa silhouette dégingandée dans la bourgade avec une aisance et une confiance singulière. Archétype même du personnage invincible, il est particulièrement intéressant, car très gris : loin d’être un défenseur de la veuve et de l’orphelin tel Lucky Luke, ses motivations principales sont pécuniaires, et il n’hésite pas vraiment à tromper et tuer pour s’enrichir. Cela dit, l’injustice et la brutalité aux dépends des faibles le mettent hors de lui ; c’est un personnage en nuances, parfaitement interprété par Eastwood.


Le film est en outre servi par une bande son de haut niveau, même si l’on n’atteint pas encore les sommets de génie d’Ennio Morricone des autres merveilles de Leone. Le métrage, violent et sans concessions, est équilibré par quelques scènes amusantes et des situations qui prêtent à sourire : une bonne introduction à l’immortelle et célébrissime trilogie du réalisateur italien.

Aramis
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le 7 juil. 2015

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Aramis

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