En 2010, une étoile naît. Avec sa silhouette massive et ses traits juvéniles, Gabourey Sidibe , diamant pur à l’état brut, distille avec générosité toute sa lumière dans l’excellent « Precious » de Lee Daniels.
La force de son jeu, d’une finesse rare, est surlignée par la remarquable prestation de l’humoriste Mo’nique, qui remporte avec brio le pari du contre-emploi en donnant un visage humain à l’horreur la plus absolue.

Une jolie fleur sur un champ d’ordures

Mais l’œuvre, qui narre l’édifiant parcours vers l’indépendance d’une adolescente noire, obèse, illettrée, victime d’inceste et deux fois mère dans le Harlem de la fin des années 80, ne saurait se résumer à ce titanesque duel d’actrice à faire pâlir d’envie le tout Hollywood.
Cette adaptation du roman « Push, a story by Sapphire » est avant tout l’occasion de raconter une histoire comme on sait qu’il n’en existe que trop, mais dont on préfère ignorer les sordides détails. Et justement, ce film est tout sauf sordide. Ni misérabilisme, ni sensationnalisme, il est une ode à la relativité, le vibrant chant d’espoir d’une sirène surnageant dans un océan de noirceur.
Née sous une mauvaise étoile, c’est peu de dire que la jeune Precious en bave au quotidien, violentée aussi bien physiquement que moralement par une mère jalouse et rongée par la haine. L’ado a donné naissance à deux enfants, une petite fille trisomique et un nourrisson, fruits des viols répétés et perpétrés par son propre père. Ils pourraient être détestés, mais ils sont adorés. Ils donneront la force herculéenne indispensable à la jeune fille pour sortir de ce champ d’ordures par le biais de l’éducation. Et c’est beau, tout simplement, n’en déplaise aux détracteurs du film qui ont été jusqu’à imputer au cinéaste l’invention du « social porn », dans la doite lignée des « torture porn » du type « Hostel » ou « Saw ».

La vérité, rien que la vérité

Car oui, Lee Daniels a pris un risque notable, celui de passer pour un mélodramaturge. Pourtant, lorsque la poétesse et romancière Sapphire a créé le personnage de Precious, elle n’a fait qu’entremêler les fils de plusieurs destins brisés, croisés lors de ses années d’enseignement pour adultes à Harlem. La vérité, rien que la vérité et tant pis si cette dernière fait pleurer dans les chaumières, parce que le cinéma n’est pas condamné à produire exclusivement de purs produits de consommation. Il peut aussi être un outil de compréhension du monde qui nous entoure. Des milliers de jeunes filles sont victimes d’inceste, toutes catégories sociales confondues. Des milliers sont filles-mères. Des milliers sont obèses. Des milliers sont cible de discrimination eu égard à leur couleur. Des milliers sont analphabètes. Des milliers sont séropositives. Et beaucoup cumulent, à l’instar de Precious qui n’a donc rien d’invraisemblable. C’est triste, certes, mais en parler ne peut être qu’une entreprise louable, puisque la société ignore déjà superbement ces laissés-pour-compte.
Il n’y a qu’à se pencher sur la surenchère de violence verbale dont fait preuve une partie de la twittosphère à chaque sortie publique de Gabourey Siddibe. Les quolibets affluent sur la toile, moquant méchamment ses rondeurs. Dans ce monde des apparences, il ne fait pas bon être différent, quand pourtant, seule une poignée correspond à ses soi-disant standards. D’ailleurs, Precious s’évade de son horrible quotidien en se rêvant star, dansant en robe lamée sous les projecteurs. Ou encore, elle s’imagine mince, blanche et blonde, se réfugiant ainsi dans un fantasme qui en dit long sur la réelle égalité des chances.
C’est une autre force du film. En filigrane, le réalisateur parvient sans lourdeur à brosser à grands traits le portrait d’une Amérique qui porte et portera encore longtemps les stigmates de l’ère de l’esclavagisme.
Donc, ce film est non seulement très beau, mais également essentiel. En apprenant à lire, Precious apprend à se raconter et fait un premier pas vers la renaissance. Elle parvient également à mettre les bons mots sur son histoire, et c’est aussi par le langage qu’elle éloigne son bourreau. L’expression et la culture apparaissent comme des clefs de survie dans cette jungle sociale. Un message essentiel, tant pour ceux qui le dispensent que pour ceux qui le reçoivent. Et à l’heure où les politiques du monde entier peinent à le transmettre, qui le fera, si ce n’est l’art ?
Enfin, il faut aussi mentionner la présence de deux acteurs totalement inattendus : Mariah Carey et Lenny Kravitz. La première, loin des paillettes rose bonbon et du pseudo-r ’nb sirupeux qui l’ont fait connaître, est très convaincante dans le rôle d’une assistante sociale blasée par la misère sociale qu’elle côtoie tous les jours. Le second relève le défi d’assurer le seul rôle masculin du film, avec humour et légèreté, et s’en tire bien en sympathique infirmier chahuté par les amies de Precious.
MickaelleJouaul
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le 3 mars 2014

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