Fait rare, le titre français du nouveau Denis Villeneuve rend bien plus justice au long-métrage que celui de la version originale (Arrival). Qu’il soit brutal (Alien, James Cameron), spectaculaire (La Guerre des Mondes, Steven Spielberg), drôle (Mars Attack, Tim Burton) ou merveilleux (E.T l’extraterrestre, Steven Spielberg again), le premier contact entre le spectateur et une entité alien est toujours une expérience qui nous place frontalement face à l’inconnu. Nos fantasmes, notre pouvoir d’imagination cessent de fonctionner pour laisser place à la découverte d’un corps étranger. C’est aussi l’attente qui fait tout l’intérêt de la mécanique. Ce qui donne lieu, dans PREMIER CONTACT, à une scène intense où Louise, incarnée par Amy Adams, pénètre pour la première fois dans le vaisseau. La mise en scène rallonge le temps, épouse le point de vue de la linguiste pour créer une empathie maximale. Son premier contact c’est aussi le notre. Nous avons beau avoir vu une tonne de variations dans le genre, chaque nouvel essai est un retour à zéro, un dépucelage.


Ce qui est fort, c’est la capacité de Denis Villeneuve à proposer via cette scène un climax avant l’heure. Comme si cette arrivée dans le vaisseau était déjà le sommet sensationnel du film sur le versant de la science-fiction. La découverte passée, le film désamorce tout programme spectaculaire pour aborder des thématiques autres. A l’opposée du formidable Sicario, PREMIER CONTACT prône l’apaisement plutôt que les péripéties musclées. Les décors restent dans une forme de simplicité, l’intrigue s’éloigne de la ville pour se situer dans une plaine perdue, le design des aliens et ce qui les entoure n’aspirent à aucune extravagance, Une bonne partie du long-métrage se résume d’ailleurs à des allers-retours entre une base militaire et le monolithique vaisseau noir, préférant évoquer les problèmes du peuple au détour d’un journal télé. Malgré ce postulat minime, par une quête de compréhension – et non de confrontation, le scénario arrive à nous tenir brillamment. Ce qui ne veut pas dire que le réalisateur québecois refuse les composants du genre qu’il aborde. Il y va, tout en s’en tenant à ce dont son récit a besoin, pour maintenir notre curiosité inassouvie.



« PREMIER CONTACT est un film magnifiquement sensible »



L’épure donne à PREMIER CONTACT une singularité rompant avec les standards actuels. A l’image du magnifique Midnight Special et de sa réflexion sur la paternité, Denis Villeneuve s’empare d’une imagerie, de codes connus, pour disserter sur notre rapport à l’autre et sur la force du langage, de la communication. En ces temps où l’afflux de migrants explose – et les dérives idéologiques qui peuvent en découler, la science-fiction est là pour nous rappeler qu’on est tous l’étranger de quelqu’un du moment qu’on ne prend pas le temps de comprendre le moyen d’expression d’autrui. Lui est moi, puis inversement. La belle idée visuelle réside dans la séparation entre les visiteurs d’un autre monde et les humains : une vitre. Cette surface transparente rend la notion de séparation abstraite. Chacun regarde l’autre en même temps que sa propre personne, tel un miroir. PREMIER CONTACT aurait pu être une grande fable pacifique s’il ne bifurquait pas dans un dernier temps vers le pur drame intime. Les flashbacks qui revenaient sans cesse trouvent une justification qui permet au film d’atteindre une dimension émotionnelle que l’on pensait, jusqu’alors, cousue de fil blanc.Il faut attendre le final et la disparition du récit des aliens pour que PREMIER CONTACT laisse apparaître sa substantifique moelle. La savante pirouette scénaristique reconfigure toute la structure du montage que l’on n’arrivait à saisir que partiellement lors des entremêlements passé/présent. Quoi de plus logique, lorsqu’on a pour thème le décodage, de proposer un objet filmique nécessitant des outils pour cerner tout son propos. Une des vertus de PREMIER CONTACT réside dans cette confiance qu’il accorde au temps et à nous, spectateurs. En notre aptitude à effectuer main dans la main, un cheminement vers l’inconnu en compagnie de Louise. C’est un pacte de confiance secret, identique à celui entre la déterminée linguiste et les aliens qui s’établit entre nous et Villeneuve. Ce dernier, par sa mise en scène combinant en une parfaite harmonie virtuosité et efficacité, nous place au même niveau d’implication cérébral et affectif que son héroïne – ce qui était déjà le cas de Sicario et Prisoners.


Le fléchissement permettant au récit d’exposer son versant sensible fait atteindre au film son acmé émotionnelle. La mélancolie qui germait depuis les première secondes mute vers une apologie de l’instant présent. Le basculement le plus impressionnant s’opère en ce point, en cette métamorphose des enjeux voulus par le genre – une arrivée d’aliens engendre des inquiétudes sur l’avenir. Puisque l’être vivant (et le monde, à une échelle plus ample) aspire par définition à avoir une fin, autant se recentrer sur la beauté de l’instant à portée de mains. Il s’agit presque ici d’un dévouement monastique, à l’écart du monde, d’une acceptation intime d’un futur sombre afin de profiter d’un présent radieux. C’est la vie elle-même qui semble faire irruption, laissant loin derrière l’ambiance feutrée, incertaine et morne qui pesait sur la quasi totalité du film. Il faut donc patienter jusqu’aux dernières secondes pour s’apercevoir que Denis Villeneuve vient de pondre un film d’une incroyable sensibilité et pour se rendre compte à quel point le choix du titre français est d’une gracieuse exactitude. Lorsque Louise et Ian s’enlacent, on comprend que c’est à cet instant que le vrai premier contact vient d’avoir lieu.


Par Maxime, pour Le Blog du Cinéma

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le 12 déc. 2016

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