Réalisateur prodige au parcours sans faute, avec à son actif autant de bijoux que sont Polytechnique, Prisoners, Enemy ou Sicario, Denis Villeneuve s’attaque maintenant au genre science-fictionel. Avec *Premier Contac*t, il livre un long métrage à la fois sombre et lumineux qui nous pousse à la réflexion en allant puiser dans nos émotions. Petit texte sur un grand film.


Retour aux sources


Alors que douze engins spatiaux font leur arrivée aux quatre coins du globe, l’inquiétude s’installe au sein des Hommes. Suite à cette visite venue des cieux, l’armée américaine décide de faire appel à Louise Banks (sublime Amy Adams), une linguiste renommée, afin de tenter de communiquer avec ces nouveaux arrivants. Elle va donc devoir apporter une réponse à une question vitale : quel est le but de cette venue ? Mais pour comprendre les motivations de ces étrangers, encore faut-il les comprendre tout court…


À l’heure où film de science-fiction rime souvent avec film d’action, où chaque invasion extra-terrestre est synonyme d’apocalypse et de destruction massive, Denis Villeneuve nous rappelle que le spectaculaire peut se trouver ailleurs. Comme nous l’ont montré des auteurs comme Philip K.Dick ou George Orwell, la science-fiction est avant tout un prisme de réflexion, un pas vers l’inconnu, une plongée dans l’au-delà… C’est une transcendance des connaissances actuelles nous poussant à réfléchir sur notre époque et à faire face aux démons de l’humanité. Pour un auteur, aborder le genre signifie donc embrasser cette philosophie. Au cinéma, 2001 L’Odyssée de l’Espace peut être considéré comme l’archétype absolu de cette volonté de réflexion à travers les codes d’un genre. Plus récemment, seule une poignée de films avaient approché la SF de cette manière et l’on pourra notamment retenir le percutant Les Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron ou le sublime Under The Skin de Jonathan Glazer.


Sortir du cadre


L’individu, sa société, son rapport à l’autre, fascinent Denis Villeneuve, comme il a pu le montrer film après film. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est l’humain. Premier Contact se vit à travers les yeux de Louise, unique lueur d’espoir d’une humanité condamnée à s’auto-détruire. Invitée à l’intérieur d’un des vaisseaux, elle va tenter de communiquer avec ses occupants. Autrement dit, essayer de créer un lien entre deux espèces séparées par des univers entiers. Mais apprivoiser l’inconnu passe invariablement par l’affrontement de ses propres démons et nombreuses ont étés les fois où l’Homme, dans son désir aveugle de puissance, a finit par anéantir ce qu’il ne pouvait comprendre. Louise devra donc garder intacte une notion de justice constamment ébranlée par le monde extérieur. Et au fur et à mesure que sa peur pour les envahisseurs diminuera, celle pour ses semblables augmentera. L’Homme est un loup pour l’Homme, et ça Villeneuve l’a bien compris.


Pour mettre tout cela en image, le réalisateur adopte une mise en scène d’une grande finesse, constamment teintée de mélancolie. Celle-ci n’est bien sûr que le reflet du mal-être de Louise, enfermée dans une tristesse constante dû à la perte d’un être cher. Cet enfermement mental est mis en image avec une obsession pour le cadre dans le cadre, allant de la baie vitrée de la maison de Louise à celle des engins spatiaux, en passant par les nombreux écrans de télévisions diffusant la peur au sein des populations. On s’enferme dans des boîtes, on communique à travers des boîtes (tous les dirigeants des pays se parlent par le biais d’écrans), on se perd, on se referme sur soi-même… Autant de carrés cassés par la forme arrondie des vaisseaux. Une symbolique qui prend toute son ampleur lorsque l’on apprend le but de leur venue sur terre…


Ces grandes réflexions, on ne peut plus complexes, Denis Villeneuve les aborde avec une simplicité déconcertante. Il positionne de ce fait son œuvre dans cette zone rare et fragile du film intelligent mais jamais moralisateur, accessible à tous mais jamais débilisant. Premier Contact est un objet d’art unique, qui confirme une fois de plus tout le talent de son réalisateur, et vient enrichir une filmographie déjà extrêmement cohérente et fascinante qui propose au spectateur d’échapper à la réalité le temps d’une séance tout en le poussant à repenser sa vison de la société et, plus généralement, du monde. Nous ne pouvions rêver mieux pour mettre en scène la suite de Blade Runner, prévue pour 2017.


Critique originale : http://www.watchingthescream.com/premier-contact-dernier-espoir/

watchingthescream
9

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Créée

le 2 avr. 2017

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Aurélien Z

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