La mise en place et la prise en main chaotiques de Parcoursup, nouvelle plate-forme de gestion des vœux des élèves de terminale, a fait beaucoup couler d’encre toute la première moitié de l’année, montrant que notre système éducatif demeurait plein d’incertitudes et de failles qu’il était toujours bon de pointer du doigt. Thomas Lilti, médecin de formation, racontait déjà les débuts d’un jeune médecin dans Hippocrate en 2015, puis les problématiques du manque de médecins en zones rurales dans Médecin de campagne en 2016. Encore une fois, comme dans une volonté de concilier les problématiques liées à son métier d’origine et l’actualité, le voici de nouveau derrière la caméra dans Première Année.


Cette fois, le réalisateur va encore un peu plus en amont dans le parcours du médecin, en remontant directement aux études, et à la très réputée première année de médecine, connue pour sa sélection drastique, obligeant les étudiants à multiplier les efforts, avec une très faible garantie d’être reçu en deuxième année. Des problématiques qui me sont assez familières, car j’étais encore, récemment, moi-même étudiant, et que j’ai eu des amis qui se sont malheureusement cassé les dents sur cette fameuse première année de médecine. Ici, Première Année met en avant deux étudiants proposant deux approches de cette première année de médecine. Benjamin vient d’avoir son bac et choisit cette filière sans être totalement sûr de lui, prenant exemple sur son père, lui-même docteur. Antoine, lui, en est à son troisième essai, après un échec qui lui a coûté la place de justesse. C’est donc une manière de confronter et d’associer une approche « innocente », dénuée de préjugés et d’expérience, à une approche plus mature et cynique, plus consciente des rouages du système et des difficultés à rencontrer.


Première Année est un film qui cerne et retransmet bien les impressions que génère l’entrée dans le supérieur, c’est à dire un sentiment d’inconnu à la fois terrifiant et excitant. On tente de se faire une place, de s’intégrer dans un système. Une nouvelle fois, les parcours de Benjamin et d’Antoine, qui se croisent, divergent, puis se recroisent, permettent de mettre en lumière deux évolutions différentes. Benjamin aborde cette première année avec une sorte de douce inconscience qui le rend attachant, montrant sa capacité à aborder les épreuves avec une certaine légèreté dans l’attitude, mais toujours avec sérieux dans les actions. Antoine, lui, ayant l’expérience pour lui, semble le plus robuste, mais s’avère finalement être plus instable, éprouvant plus de difficultés à supporter le rythme et la pression imposés par les cours et les examens. Il y a donc, dans Première Année, une volonté de montrer cette première année de médecine comme étant particulièrement intense, épuisante, exigeante, mais aussi, curieusement, comme étant soumise aux lois du hasard, dans une singulière opposition entre la rigueur scientifique des cours et de l’apprentissage, et les aléas des examens et de la sélection qui en découle.


Mais ce qui est intéressant dans ce film, c’est qu’il ne se contente pas de se limiter au simple cadre de la première année de médecine, ni de juste adopter un point de vue quasi-documentaire en appuyant une vision immersive sur cette dernière. Il y a, au-delà de cela, une véritable volonté de pointer du doigt la difficulté à trouver sa vocation, qu’elle dépende de notre propre incertitude, ou simplement, des difficultés que l’on rencontre à cocher toutes les cases pour franchir les étapes. C’est une vision qui s’adapte particulièrement à la première année de médecine, mais aussi à à peu près tous les parcours possibles. Beaucoup ne savent pas exactement ce qu’ils souhaitent faire à l’issue du lycée, et adoptent un choix « de sécurité », basé sur des tendances, ou sur les modèles imposés par la société. Pour aller plus loin, je dois évoquer la fin du film :


Benjamin était indécis lorsqu’il a choisi d’entrer en médecine, mais à la fin, c’est bien lui qui a le classement qui lui permet de passer en deuxième année. Finalement, il se désiste, sachant que cela permettra à Antoine d’enfin pouvoir passer. Mais il agit surtout suite à la réaction, ou plutôt à la non-réaction de son père, toujours négatif à son égard, et qui ne lui accorde aucune reconnaissance quant à sa réussite. Le spectateur comprend alors, dans la décision de Benjamin, que son entrée en médecine a été conditionnée par le métier de son père et la pression que ce dernier lui a infligée. Sans la reconnaissance qu’il attendait de lui, il laisse tomber. Une manière de montrer, aussi, que certains jeunes suivent un parcours en fonction de leurs parents, et non de leur propre volonté.


Première Année est un film réussi et efficace, pertinent dans son approche, qui parlera à tous les jeunes étudiants, mais aussi à celles et ceux qui ont été confrontés à tout ce système aussi complexe et impressionnant qu’il peut être aléatoire et, parfois, injuste et faillible. Le film doit beaucoup au scénario efficace de Thomas Lilti, qui aborde avec justesse les problématiques des études supérieures en France, mais aussi aux deux acteurs principaux, William Lebghil et Vincent Lacoste, aussi sincères et attachants qu’ils sont justes dans leur jeu. Le second était déjà connu pour ses qualités d’acteur, et le premier impressionne en montrant ce dont il est capable, en réalisant une prestation pleine de bonnes promesses pour la suite. En somme, Première Année est là où je l’attendais, intéressant, pertinent, juste et efficace, un des bons films français à voir cette année !

JKDZ29
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le 23 sept. 2018

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