Beaucoup de couleurs pour un scénario en noir et blanc.

Je suis doublant.e en PACES à Paris.
En seulement deux minutes de bande annonce je suis révolté.e.
Première image : deux amis, Panthéon, Saint-geneviève, parents bourgeois, amphithéâtre de l’ambiance, profs complices, dérision sur la sélection, dérision sur la souffrance, love story sur les toits de Paris.


J’ai pris mon mal en patience et j’ai décidé de laisser une chance. Bien sur depuis ma position, difficile de se concentrer sur l’histoire lorsqu’on tique à chaque scène.


L’art de la non-représentativité.


Une amitié entre un triplement et un primant ? Il faut savoir que les redoublants ne regardent pas les cours, alors un triplant qui se rends en amphi c’est grotesque. Ils vont courir sur les quais de Seine, ils travaillent et dorment ensemble, hilarant !
J’ai des amis aussi, on se parle par Messenger, parfois on mange ensemble, rarement on se retrouve dans une BU. La plupart des péhuns sont seuls ou “en groupe de travail”.


Un amphi avec de l’ambiance ? Certes la scène est sensée se passer à Descartes qui est une des rares facs ayant su conserver une infime paillette d’esprit carabin (devenu plus du “pour faire genre” que de la liberté de se défouler soit dit en passant). Pourtant la réalité est extrêmement éloignée : vigiles dans les amphis, seuls quelques cris s’échappent d’une minorité absolue d’individus, peu des autres étudiants sont en groupes d’amis et encore moins rient de l’expression fugace de leurs camarades.


La concurrence ? Et bien non même à plus de deux milles étudiants la concurrence n’est pas stimulante. Déjà elle est tacite, personne ne voit personne. On se compare aux rumeurs, on croit ceux qui ont fini l’anatomie en novembre, on se dit qu’on a du retard (comportement passif) face à ce que semble afficher l’imaginaire collectif. Mais aucun étudiant ne vole les fiches des autres, personne ne s’enflamme pour se battre, on peut compter sur nos mains ceux qui se considèrent chaque jour en compétition.


Les parents ? Il faut bien comprendre que lorsqu’on vit chez ses parents (la majorité des péhuns parisiens) on ne décide pas seul de son emploi du temps, la vie est ponctuée de devoirs familiaux, d’obligations ménagères, de paperasse d’assurances et de réorientation qui empiètent dramatiquement sur son travail ou ses rares moments de répit. Ici, uniquement un rapide passage sur l’inquiétude des parents. Dans la vraie vie ceux ci sont rarement conciliants, souvent toxiques par leur stress projeté sur leurs poulains d’enfants.


Le Panthéon, les toits de Paris, le bus ?
Ah le cinquième arrondissement de Paris est si représentatif de la vie de tout à chacun. Tous nous nous levons le matin dans cette poésie vivace pour rejoindre nos combats quotidiens.
Non. La plupart des péhuns de France restent chez eux : merci la vidéoconférence, les cours en lignes, à nous la solitude et la responsabilité casanière !
Certains vont en effet à la BU, sortent se rendre à leurs prépas privées, d’autres vont aux enseignements dirigés ou au tutorat une fois par semaine. Bien sûr en général le péhun prends le métro ou le RER et habitent largement à plus d’une demie heure de sa fac.


En quoi il est néfaste de véhiculer de telles images


Nous sommes en août 2018. A l’heure où j’écris ces mots la contestation étudiante à souffert de son image médiatique et s’est essoufflée. Les quelques militants restants ne jurent que par les Black Blocks et les AG secrètes.


Le film Première Année se place dans une trilogie contemporaine, qui se pavane de révéler une réalité à travers une dramaturgie captivante. Pourtant on y voit deux acteurs de 24 et 27 ans, doués peut-être, en tout cas déjà bien populaires et les parfaits outils de succès capitaliste. Le P1 moyen à entre 17 et 20 ans, parfois la quarantaine si il est en réorientation.
Thomas Lilti est le scénariste, 42 ans, généraliste palmé, déjà deux films. Bon. Clairement vu les anachronismes -la scène des voeux va vous surprendre- il faudrait changer le titre pour “Comment c’était avant la Première Année”.
J’ai l’amère impression de voir un vieux film sur les indigènes de Papouasie. Nous parlons la même langue pourtant avec Dr Lilti. Sans doute il va rétorquer avoir fait un travail de recherche et d’interviews exclusives de Paces de 2018.


La réalité des amphis n’a rien de choregraphique, mon environnement de vie n’a rien de spectaculaire.
Il y a de la souffrance, il y a de la magie, mais pas celle convenue, pas là où vous le montrez.


Je suis révoltée d’être traitée comme une bête de cirque. Je voudrais que mes proches, mes profs, tout ceux qui s'intéressent à mon histoire puisse la comprendre telle qu'elle est réellement.
En allant voir ce film qui se vante de réalisme, ils vont aplatir sur mon expérience les clichés qu’ils avaient déjà en tête.


Invoquer la jeunesse ça fait s’intéresser, tout le monde connaît quelqu’un passé par la PACES, c’est le parfait sujet pour vendre.


Ce qu’il faut faire ou l’importance du laisser dire


Chercher ce n’est pas regarder les pages de forums où se pavanent tous ceux qui veulent prouver en triomphe que leur fac, leur voie, leur vie est la meilleure de tout Parcoursup.


Apprendre à parler pour quelqu’un ce n’est pas interviewer deux heures un étudiant qu’on connaît.


C’est se jeter dans la fosse aux lions, écouter, devenir ami, suivre une année, deux années, un péhun au hasard, deux péhuns, trois, quatre, dix et souffrir avec eux, porter les larmes, porter l’échec.


Tous aujourd’hui nous croyons en la nécessité d’entendre la parole des petits, des marginalisés, des exclus. Nous croyons en la nécessité de se pencher nous aussi sur les questions qui titillent les élites, qui rongent les âmes des DRH, qui chafouinent les producteurs.


Nous savons nous interroger, nous savons demander des explications, nous savons qu’il faut aujourd’hui comprendre avant de créer.


Laisser dire. C’est le maître mot de notre génération, c’est celui des courts métrages, c’est celui de la presse intelligente et c’est celui du théâtre. Personne mieux qu’un péhun peut expliquer, peut écrire, peut jouer.


Ce film aurait pu être vivant, profond et captivant, si on y avait ajouté un soupson de bienveillance.


Magnifique niveau technique, mais si vous y allez pour comprendre des humains, passez votre chemin.

MarianeMaremma
4
Écrit par

Créée

le 15 août 2018

Critique lue 3.2K fois

14 j'aime

5 commentaires

MarianeMaremma

Écrit par

Critique lue 3.2K fois

14
5

D'autres avis sur Première année

Première année
EricDebarnot
7

Nous et nos enfants

On me dit que, non, ça ne peut pas se passer comme ça en première année de Médecine, pas question d'une amitié entre un triplant et un "vrai" première année... Comme si ça changeait quelque chose… On...

le 12 sept. 2018

61 j'aime

24

Première année
Moizi
5

Poli

On prend les mêmes et on recommence. Cette fois Vincent Lacoste et Thomas Lilti ne sont plus en internat mais en Première année de médecine. Je dois dire que je suis un peu partagé sur le film, parce...

le 17 sept. 2018

27 j'aime

Première année
TheoC
7

Trop Bisounours pour la PACES

Après Hippocrate et Médecin de Campagne, Thomas Lilti continue son étude de la médecine d'aujourd'hui avec Première Année, un film dont il est à nouveau scénariste et réalisateur et qui se penche sur...

le 24 mai 2018

20 j'aime

4