Pris de Court repose sur une tension instable et irréductible entre le mouvement tragique des corps qui glissent sur les routes et les trottoirs à l’aide de rollers, qui s’activent dans la rue jusqu’au point de rendez-vous, et l’immobilisme symbolique qui fige la famille dans une ville qu’elle subit et dans laquelle elle est une étrangère, traduction d’un exil involontaire pour faire le deuil d’un passé qui revient sous la forme d’un poids hanter la mère et ses deux fils.


La réalisatrice, Emmanuelle Cuau, prend soin de redoubler la rupture progressive entre Nathalie et Paul par une opposition motrice : la mère devient serveuse puis bijoutière, elle répète des gestes minutieux et lents ; au contraire, le l’aîné élit domicile dans le mouvement, son instabilité émotionnelle et affective devient une quête désespérée de liberté. Pris entre ces deux pôles, le cadet, Léo, pose des questions, demande quand cessera la guerre, lui dont le regard dispose d’une capacité de dévoilement : il donne mauvaise conscience à son frère qui refuse de jouer avec lui, il rappelle à sa mère qu’elle doit s’occuper d’eux, que désormais seule elle a le devoir de remplir les deux rôles, celui du père et celui de la mère.


Aussi ciselé qu’une pierre travaillée, le montage découpe dans une matière brute des lignes d’abord divergentes mais qui finiront par se rejoindre. Car Pris de Court met en scène une fuite qui, parce qu’elle se substitue au deuil du père, équivaut à un décentrement : la famille se disloque, les mots blessent et les mauvaises rencontres s’accumulent. La descente aux Enfers du fils aîné est la conséquence d’une recherche d’identité, de racines à plonger dans un sol qui ne veut pas d’elles, le sol de Paris, ville de l’anonymat et du passage. On ne voit jamais le ciel, on étouffe dans cet espace urbain où les personnages, tels des prisonniers, sont pris en étau. Paris est la ville du faux collier, de la fausse valeur qui troque les sentiments contre de l’argent sale.


Construit comme un thriller, le film mêle les tons et élabore, pièce après pièce, une chaîne d’écueils qu’il faudra, à terme, briser. C’est l’aéroport, c’est l’avion. Pris de Court part du drame social pour aboutir au film de genre flamboyant et anxiogène qui réussit à convertir l’urgence dont souffrent ses protagonistes en dynamique interne. Une œuvre immense, injustement méconnue.

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le 9 mars 2020

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