Il faut dire je ne connaissais pas Denis Villeneuve, je savais qu’il avait fait Incendies, mais c’était tout. En fait je dis ça parce que j’y suis allé pour Jake, ouais c’est souvent le cas. Enfin, en tout cas je ne m‘attendais pas vraiment à ça, pas vraiment à grand chose, mais je pense que ce film est marquant et important, pour plusieurs raisons.
Deux fillettes disparaissent le jour de la Thanksgiving. Les familles traumatisées et un enquêteur rompu vont vivre des moments douloureux, chacun à sa manière. Un suspect est vite arrêté, mais relâché les foudres de la colère, l'apathie, la crainte, le courage et la violence vont déstructurer tout un environnement humain paisible, pour détruire toutes les certitudes, humaines et sociétaires.
Concentrons notre attention sur le rôle de la lumière, essayer de faire en sorte de susciter un intérêt, tout en apportant une vision claire pour ceux qui ont vu le film. Commençons d'abord rapidement par les acteurs. Ils sont très bons, un Hugh Jackman impressionnant, du jamais vu d'intensité, assez surprenant, cependant un rôle fait pour son jeu, en quelque sorte une apogée. Jake Gyllenhaal, un acteur de très au niveau, pas de doute sur sa capacité à entrer en profondeur et déstabiliser la nature même de ses personnages par sa propre personnalité, il devient le personnage mais y amène toujours sa touche, une valeur sure aussi au sommet. Mais celui que j'attendais c'est Paul Dano, excellentissime acteur, monstrueux dans There Will Be Blood, où il tient face à Daniel Day Lewis, il se fond et incarne ce personnage chétif avec beaucoup de maîtrise. Ce trio d'acteur « illumine » en soit le film qui n'aurait pas été aussi criant d'intensité sans un tel trio, qui certes jouent dans leurs cordes, mais explosent littéralement leurs précédentes performances. Le reste du casting pêche un peu, mais la maîtrise dans la direction d'acteur est à souligner, dans le sens Denis Villeneuve sait ce que peuvent lui apporter ses acteurs et il va le chercher jusque dans leurs tripes. Grand moment d'acteurs.
Car à y regarder de plus près les situations, temporelles, météorologiques, et autres sont calqués sur des instants précis. Les parents constatent la disparition de leurs enfants au moment où la pluie commence à tomber, le temps devient de plus en plus gris. Moments de tensions qui trouvent leur apothéose dans la nuit de la pompe à essence, une sorte de double contre jour est créé à la fois par les lumières de la station mais aussi ceux des phares du van, saisissante perte de repères lumineux qui se conjugue sur le lieu, alors déstabilise dès ce moment-là l'avis qu'on peut posséder du personnage soupçonné. De même son altercation sur le parking au grand jour se révèle être perturbante tellement la lumière est abondante, trompeuse, pointant du doigt la vérité de l’instant.
Pourtant, c'est dans la pénombre que vont se passer les atrocités, le père qui devient fou, coupant progressivement le malheureux de la lumière, lui fermant les yeux, bloquant le soleil qui devrai atteindre sa peau par la suite, la seule chaleur sera celle de l'eau. L'enfermement des fillettes, la découverte du cadavre, le père pris au piège, le malheureux torturé, la noirceur qui envahit la vie du policier, beaucoup de choses se passent à l'abris du soleil. Un soleil inexistant, le temps est toujours grisâtre, il pleut, il neige, accompagnant des moments de profondes tristesses et de grands désarrois. Des choses se passent la nuit, mais semble plus nettes que le jour, la lumière de la journée ne révèle jamais rien dans le film, elle alimente la tromperie et l'erreur, c'est dans le froid glacial et la dureté du silence noctambule que surgit la vérité, toujours, la clarté ne réside pas dans ce que les protagonistes voient mais dans ce qu'ils acceptent de saisir, de comprendre.
Ce film place la lumière en faux semblant, est-ce l'intention du réalisateur ? Je ne sais pas, toujours est-il que dans une potentielle analyse, la lumière n'a jamais eu aussi peu de place que dans les cœurs rompus. Que ce soit imagé ou non elle y joue un grand rôle, le cœur obscurci par la douleur, ravive la flamme par la violence hallucinée, que ce soit pour le mauvais ou pour le bon. Mention à la scène finale en voiture, je crois que ça fait longtemps que je n'en avais pas vue de telle, éblouissante tout simplement, une multiplication des cadrages, tous bien agencés d'une main de maître, dans l'esprit d'une lumière nocturne à la Taxi Driver, comme une hallucination finale, tronquée par la blessure et la crainte. On se croirait dans un tube psyché affreux, causant la perte de tout repère, une impression d'infini, très surprenant et saisissant.
Un film saisissant, cependant il se place dans la tradition des films sans reproches, à garder comme référence, mais qui ne révolutionne pas le genre. Remarquable il sera de ces chefs d’œuvres de l'ombre, qu'on ne peut critiquer, ni citer en premier lieu.