Petit réalisateur deviendra grand !

Un thriller. Un vrai. Ça faisait longtemps. Je dois dire que concernant "Prisoners", j'ai subi un sacré contre-pied. Non pas à cause du film lui-même, mais pour ce que je m'imaginais voir avant de le commencer. Comme je n'avais vu ni bande-annonce ni extrait, ou lu le script, et que personne autour de moi ne m'en avait jamais vraiment parlé avec détails, je ne savais pas du tout de quoi "Prisoners" pouvait bien débattre. A dire vrai, avec cet intitulé et ce casting, j'avais plutôt songé à un film ayant pour background l'univers carcéral. Tout faux. Du coup, accroché à cette idée, j'ai dégusté le film comme on déchire très lentement l'emballage d'un cadeau en pensant déjà savoir ce qu'il contient. Et la surprise a été de taille.

L'intrigue s'ouvre dans un lieu simple, dépouillé, voire affreusement banal, et dépeint le quotidien d'une famille américaine lambda que vous, votre voisin, ou moi-même pourrait vivre. Une ville de la classe ouvrière, de vieilles bâtisses, des arbres, un climat maussade. Le décor est planté. Lorsque les comédiens entrent en scène, on oublie presque qui en est le principal héros. Wolverine a troqué ses griffes, son épaisse barbe et sa tenue moulante jaune vif, contre la peau d'un simple père de famille. De son côté, Jake Gyllenhaal, qui s'est dernièrement illustré comme un super flic de Los Angeles dans "End of watch", a lui aussi mué, passant du flic héroïque et sans peur à l'inspecteur courageux mais ayant ses propres failles. Un vent de fraîcheur sur ce casting musclé non pas des pectoraux, mais du coeur, cette fois.

L'histoire de "Prisoners", comme le lieu où elle se déroule, est elle aussi somme toute tristement banale (et c'est regrettable). Deux fillettes ont disparu, comme cela arrive tous les jours sur notre belle planète. S'ouvre alors une enquête de police dirigée par l'Inspecteur Loki (l'orthographe me parle...). Comme beaucoup de thrillers policiers, ce n'est pas tellement dans le fond que se fait l'originalité de l'histoire, mais dans la façon de la raconter. Et en ce sens, "Prisoners" fait largement honneur à son thème. Très bien raconté, mais aussi porté à l'image avec talent, le récit nous offre une larme gamme d'émotions intenses, se montrant tantôt intrigant, voire carrément mystérieux, tantôt troublant et anxiogène. Les jeux de caméras, sans être réellement pointus, font montre d'une grande simplicité au service d'une mise en scène efficace et directe, tout en parvenant à ne jamais abolir ni même diminuer le suspense. Un suspense et une tension qui sont à couper au couteau, et ce, jusqu'à l'épilogue.

Je le disais plus haut : le casting n'est clairement pas pour nous déplaire, même s'il a tout de même de quoi surprendre, vues les productions récentes dans lesquelles les deux hommes se sont illustrés. C'est un carton plein : Jake Gyllenhaal assure dans le rôle du flic qui doute, ressasse, souffre et imagine le pire. On s'aperçoit qu'il a une sorte de tic à l'oeil qu'il n'a pas la vie, développant un peu plus le lourd bagage moral que son personnage doit porter. Quant à Hugh Jackman, il m'a tout simplement ébahi. Je l'ai tellement souvent vu tenir sa place de super héros sans vraiment trop d'émotions hormis la colère, que le voir ici pleurer, trembler, les yeux cernés et usés jusqu'à la corde, m'a transporté. On peut lire sur le net que pour son rôle, Jackman a étudié le manque de sommeil et les répercutions qu'il peut avoir sur l'organisme et le comportement. Un travail de fond qui donne encore plus de crédibilité au rôle qu'il s'emploie à jouer. L'un comme l'autre fournissent une prestation de grande qualité. A noter que les acteurs secondaires sont vraiment loin d'être mauvais eux-aussi.

Résultat : l'empathie est immédiate. On est en osmose avec le récit et ces deux pères de famille torturés par l'absence. On palpite, on meurt de savoir nous aussi. On veut des réponses, comme un père voudrait en avoir pour son enfant. En plus de faire battre le coeur du spectateur, "Prisoners" l'abîme, puis le soigne, le mettant ainsi à rude épreuve durant deux heures trente, à tel point que le dramatique jeu de pistes, habile et oppressant, tire légèrement sur la longueur en dernière partie. Mais difficile à dire si cela vient d'un petit souci d'équilibrage scénaristique, ou bien de mon envie irrépressible d'aller au bout de la conclusion.

Quoi qu'il en soit, mission accomplie pour Denis Villeneuve, ce réalisateur canadien qui n'a pourtant pas une filmographie démente, mais livre néanmoins un superbe thriller qui permet à des comédiens tels que Hugh Jackman et Jake Gyllenhaal de revenir à des fondamentaux et de prouver leur talent.
Ri_Tchy
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le 27 mai 2014

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Ri Tchy

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