Beaucoup de bruit autour de ce "phénomène" cinématographique à faire saliver les cinéphiles : on le comparait au "Silence des agneaux", à "Seven", et à tant d'autres. Dès lors, entrer dans un film est une démarche complexe : on entame le visionnage avec de nombreux a priori, beaucoup d'attente, la peur de la déception, l'envie du chef-d'oeuvre.
Au final, que retenir de "Prisoners", ce thriller hypnotisant sur la disparition de deux petites filles et la progressive folie d'un père dévasté et aussi désemparé, délaissé que tous ceux qui cherchent à les retrouver ? En dévoiler davantage reviendrait à faire connaître des pans de l'intrigue qui n'ont leur place que dans le film et pas dans cette critique : ce qu'il faut savoir avant de se lancer dans "Prisoners", c'est cette base, ce synopsis simple : disparition, enlèvement, enquête et torture.
Il ne s'agit, pour ainsi dire, pas d'un chef-d'oeuvre : "le Silence des agneaux" n'a rien à lui envier, et c'est davantage l'inverse qui se vérifie. Le film a ses lacunes, assez nombreuses : une perte de dynamique à partir d'une heure et demi ; un scénario assez maigre sauf dans la dernière demi-heure ; des hésitations sur la violence - faut-il la montrer ? faut-il la masquer ? faut-il la suggérer ? un peu des trois, à en croire le film, mais c'est dans cette double absence de voyeurisme et d'économie que la force du propos se perd. Mais ces défauts ne masquent pourtant pas le pouvoir de fascination qu'exerce sur le spectateur cette histoire magistralement filmée : la fluidité de la technique, la bande-son lancinante et la froideur de l'image - ce blanc, cette pluie, cette grisaille vomitive - convergent pour révulser. La noirceur s'installe dès les premières minutes et elle ne disparaît qu'une fois le film terminé. Dans les yeux d'Hugh Jackman et de Jake Gyllenhaal - le premier livrant une performance monocorde mais impressionnante dans ce registre ; le second très bon mais manquant également de complexité - on lit cette noirceur profonde, cette haine et ce désespoir qui jamais ne s'évanouissent.
Quant au message, chacun choisira de lire le film comme il l'entend. Bien entendu, on peut voir dans Hugh Jackman cet être protecteur, qui ne croit plus à la justice des hommes ni à celle de Dieu et qui fait de la vengeance la seule raison de la vie quand la perte et le chagrin surpassent l'espoir. Mais le traitement que Denis Villeneuve fait de ce personnage de père dévasté nuance ce portrait manichéen du bourreau, car dans la douleur, la raison n'existe plus.
Servi par une mise en scène oppressante, léchée et réfléchie, "Prisoners" s'établit en très bon thriller, mais de là à parler de chef-d'oeuvre, il y a plusieurs pas que l'on ne peut franchir : il lui manque l'originalité, l'audace et la perversité de ses modèles.