Et en donnant le feu aux hommes, il les a rendu cons...


Prometheus, l’idée



15 longues années après Alien : La Résurrection qui n’avait rien apporté de neuf à la franchise Alien mais qui était tout de même fun et avait une vraie personnalité (le style de Jeunet, on aime ou on aime pas...), la nouvelle d’un préquel à la saga culte faisait l’effet d’une bombe pour le fan abreuvé aux xénomorphes et aux frasques de mademoiselle Ripley.


D’autant que Ridley Scott, réalisateur du premier film, rempilait derrière la caméra pour ce qu’il avait décrit comme une épopée intergalactique située dans l’univers d’alien et se déroulant bien avant le premier film (Sigourney Weaver y serait donc absente), dont l’ambition était de dépasser Avatar, rien que ça.
Et comme si ce n’était pas assez, H.R. Giger revient donner un peu de sa patte macabre, biomécanique et reconnaissable pour ce projet, et le film se paie un casting de luxe, à savoir Michael Fassbender, Charlize Theron, Idris Elba, Guy Pearce ou encore Noomi Rapace dans les rôles principaux.


Tout promettait donc au spectateur une fresque de science-fiction ambitieuse, horrifique et munie d’une signature artistique forte, qui pourrait donner naissance à une franchise non seulement dans la lignée d’Alien, mais en plus, d’après les propos du cinéaste, avec une identité propre à part entière, avec l’expansion de la mythologie de base qui va avec, et des réponses aux questions laissées en suspens depuis le premier film, enfin c’est ce que tonton Ridley avait dit...



Prometheus, le traitement



(risque de spoiler sur cette critique)


Durant les premières minutes, le film donne le ton, à savoir une esthétique quasi parfaite, avec une photographie scintillante et contrastée, et un superbe travail sur les décors, qui écrasent littéralement les personnages, comme pour les mettre en garde face à un univers trop vaste et monstrueux pour eux. Le plan du début où le vaisseau, sous la forme d’un petit point lumineux, file dans l’espace sans aucun bruit est à ce propos très révélateur, on pense à cette maxime culte qui a forgé en même temps la promotion et l’atmosphère du film originel : "Dans l’espace, personne ne vous entend crier", ce qui renvoie l’homme à sa dimension infiniment petite, face au vide spatial.


Ce visuel époustouflant qui s’étend jusqu’à l’arrivée de l’équipage du Prometheus à destination est la plus grande qualité de l’œuvre, accouplé à une atmosphère mystique et un pitch de départ intéressant remettant en question nos fondements religieux et scientifiques, car le but de l’expédition est de retrouver les créateurs de la race humaine, appelés ingénieurs, niveau ambition, ça se pose là.
Le spectateur, avec ces premières images dantesques et ce pitch alléchant qui promet quelque chose d’épique, ne peut qu’être réconforté à l’idée de ce qui va suivre, et qu’il est bon de revoir Ridley Scott derrière la caméra pour un film de science-fiction !


Mais qu’en-est-il du reste ?
Le reste est indubitablement raté, et lorsque je dis raté, c’est qu’il y avait au départ un potentiel d’une richesse considérable qui méritait un traitement adéquat sur format cinématographique.
La faute en premier lieu à un amas d’incohérences et de réactions illogiques des personnages toutes plus dingues les unes que les autres.
Pourquoi le géologue se perd alors qu’il a cartographié la zone avec ses "louveteaux" ? Pourquoi, après avoir été attaqué, devient-il un Berzerk en entrant dans une frénésie violente en tuant une partie de l’équipage ? Pourquoi David empoisonne-t-il le docteur Holloway ? Pourquoi Rapace et Theron courent en ligne droite !? Et j’en passe et j’en passe, car il n’est pas lieu de lister ici toutes les incohérences du scénario, d’autres l’ont déjà fait, et il y a de quoi s’arracher les cheveux. Incohérences qui font de ce film une œuvre extrêmement mal écrite et limite brouillonne, le comble pour un projet qui tient tellement à cœur à notre cinéaste et qui a fait l’objet d’une promotion et d’un travail collectif tellement importants.


Le scénario quant à lui, s’appuyant sur la théorie des anciens astronautes, à savoir que la vie sur Terre a été influencée voir créée par une forme de vie extra-terrestre, avait sur le papier de quoi ravir les fans de S.F. et les amateurs de curiosités filmiques. Et pourtant, l’idée se casse méchamment la figure, la faute au sein du film au faciès humanoïde et banalisé de l’ingénieur, comme si, pour justifier notre parenté, il fallait forcément qu’on se ressemble à l’identique, ce qui donne la désagréable impression d’une certaine simplification de l’histoire, afin qu’elle ne déroute pas le public, estimé trop con pour comprendre quelque chose qui dépasserait ses capacités intellectuelles.


Il nous faut souligner une autre faiblesse du film, c’est celle de peiner à imposer une tension concrète et efficace. Scott à la réalisation, on aurait pu espérer une atmosphère angoissante voir suffocante comme c’était le cas dans le premier volet de la saga Alien (le gus ayant aussi réalisé Blade Runner, l’atmosphère étant très caractéristique dans cette œuvre également), mais hormis une ou deux scènes qui provoquent le malaise (celle de la "césarienne" de l’héroïne) ou des courtes séquences un peu creepy (les deux personnages en prise avec la créature reptilienne), le film n’a pas de réelle tension, pas d’ambiance confinant à l’oppression dans sa globalité.


D’ailleurs le côté très mystique et spirituel du film (la rencontre entre l’homme et son dieu, la remise en question de tout un imaginaire religieux et d’une doctrine scientifique dominante) s’atténue au fil du visionnage, comme si Ridley Scott, après quelques minutes auréolées d’une esthétique travaillée, était passé en pilote automatique; dans ce sens la musique n’aide pas beaucoup, loin d’aider à donner un ton anxiogène au film, elle est limite positive, bon-enfant, et possède un air bizarroïde et hors de propos de production Spielbergienne sur certaines séquences, hors de propos dans le sens qu'on se trouve dans un film de l’univers d’Alien, et non dans une aventure de science-fiction familiale et gentillette !



Prometheus dans l’univers Alien



Prometheus souffre d’un autre problème, un problème qui renvoie au tapis tous les autres problèmes ci-dessus, et ce problème tient en un mot : Alien.
Le film, malgré son titre, de près ou de loin, appartient à l’univers d’Alien et n’est pas simplement étiqueté science-fiction, il est de son devoir de respecter la mythologie qui est déjà présente, et non de la rendre encore plus floue.
C’est pourtant le cas de Prometheus, qui se mélange les pinceaux, jusqu’à être incohérent avec son propre univers. Alors que le premier film nous laissait sous-entendre que les xénomorphes avaient été créés par ces "ingénieurs" sous la forme d’œufs devant trouver un hôte afin de passer au stade supérieur (l’alien que nous connaissons), et que le second film nous avait gratifié d’un nouvel élément, à savoir une reine des dits xénomorphes (ce qui ne remettait pas en question la logique du premier opus en question, les ingénieurs créant les reines pour pondre ces œufs à un rythme régulier), Prometheus donne une nouvelle logique complètement débile et incohérente.
Ainsi, pour arriver à la créature mythique qu’est le xénomorphe, il faut : une forme de vie cultivée par les ingénieurs, rentrant par voie orale dans le corps de quelqu’un et le rendant malade (?), qui, à l’aide d’un rapport sexuel, atterrit dans le ventre d’un individu de sexe féminin (?) et finit par se développer en son sein jusqu’à devenir une créature tentaculaire (?) qui va grandir de manière exponentielle et qui, prenant le statut de facehugger (?), pond une nouvelle forme de vie dans le corps d’un autre être vivant qui sortira de son thorax, le fameux xénomorphe (?).


Loin de répondre aux questions que les fans se posaient depuis des décennies, le film en entraîne par conséquent de nouvelles, complètement caduques et obsolètes, car ce qui donnait matière à se questionner pour le public, ce n’était pas le "comment" de l’alien, comment il venait au monde, il n’y avait pas besoin d’une mise à jour, non c’était le "pourquoi". Pourquoi les ingénieurs ont-ils créé et cultivé cette forme de vie ? Comment est-elle devenue incontrôlable et s’est retournée contre ses créateurs ? Comme pour tirer sur l’ambulance, les questions que posent Noomi Rapace en présence du dernier ingénieur en vie renvoient à celles que le public avait en tête avant d’entrer dans la salle de projection, ce qui est paradoxal au vu des propos de Ridley Scott, qui avait pourtant assuré aux spectateurs des réponses et des éclaircissements sur certains aspects de la mythologie Alien.


Autre défaut majeur du film, c’est l’absence de la signature Giger, pourtant crédité au générique de fin et selon Ridley Scott, fortement influent dans le projet. Car le film, si on ne peut remettre en question l’esthétique travaillée (car on l’a vu, c’est beau !), a l’air tout de même trop propre pour un rejeton de l’univers d’Alien. Tout y est édulcoré, lisse, et donne la sensation que Giger n’a pas fait grand chose ou en tout cas, n’a pas donné à l’écran une vision digne de ses travaux habituels, ou même digne du premier Alien. On n’est pas mal à l’aise, on n’est pas oppressé, dérangé durant Prometheus.
L’exemple le plus flagrant de cette implication artistique quelconque et assez effacée se voit dans le design des ingénieurs, qui on l’a vu, est très proche de l’humain. Très lovecraftien dans l’âme, le style cauchemardesque et difforme de l’ingénieur tel qu’on l’a brièvement observé dans Alien est ici aseptisé, rendu plus anthropomorphique, ce qu’on imaginait être sa figure munie d’une trompe devient dans ce film un vulgaire casque, comme si, symboliquement, on écartait Giger et son style si singulier et si déviant de la mythologie Alien, afin de rendre le tout accessible au grand public non initié à l’univers de l’artiste.



Prometheus, le constat



Le film pose au final deux constats flagrants, celui du fossé entre l’idée et son traitement, et aussi celui de l’attente et du résultat. Car Prometheus n’est pas catastrophique en tant qu’œuvre à part entière, même si elle est mal écrite et bancale, elle l’est en tant que film se déroulant dans l’univers d’Alien et en tant que film qui n’a pas respecté ses promesses initiales, elle rejette ce qui a fait du second film de Scott une pierre angulaire du cinéma de science-fiction et du cinéma d’horreur.
A ce sujet l’annonce du scénariste Damon Lindelof, laquelle stipulait qu’il n’y aurait pas de xénomorphe ni de facehugger dans le film, avait préparé le public à se retrouver dans l’univers d’Alien sans les points de repères principaux, ce qui en soi, était une prise de risque étonnante dans le genre : faire un préquel d’une franchise tout en n’incluant pas les symboles qui ont rendu célèbre la dite franchise. L’apparition du xénomorphe à la toute fin fait donc l’effet d’un cheveu sur la soupe, on ne l’attendait pas, et on ne voulait pas l’attendre. Le film a donc passé deux heures à matraquer la mythologie derrière le film de 1979, et comme si cela ne suffisait pas, le monstre iconique apparaît en conclusion, la fresque de science-fiction risquée et ambitieuse se vautre au final dans un fan-service outrancier et de plus, raté dans son intention.


Pour conclure, on peut parler d’un troisième constat en plus des deux autres ci-dessus, celui de la nécessité de garder "hors-film" ce qui se passe hors du film, ce que le public rêve ou imagine une fois le générique de fin débuté. Car à force de vouloir tout expliquer, on explique mal, on s’éloigne de l’imaginaire du public, on donne un sens à une mythologie ou un univers, et fatalement on le rétrécit, tout comme on rétrécie le champs des possibles.
Ridley Scott doit avoir un problème avec cette volonté d’expliquer le pourquoi du comment de ses films, en témoignent sa révélation lors d’une interview sur la nature de Rick Deckard dans Blade Runner, et dans ce cas précis, son Prometheus, qui, au lieu de développer, sublimer et donner un coup de fouet à la mythologie Alien, l’amoindrit, la brouille et à terme la condamne; d’ailleurs sa suite du même acabit, Alien : Covenant, semble continuer sur cette lancée, ce qui nous fait nous poser une question plutôt triste, la saga Alien est-elle morte ?

Tom-Bombadil
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le 1 juin 2020

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