Pour son 20ème long métrage, le réalisateur touche-à-tout Ridley Scott voit les choses en grand: revenir au sein de la saga qui l'a initié à la science fiction.
C'est un programme plus que casse gueule, sachant que ça fait une bonne trentaine d'années qu'il a abandonné ce genre, sans oublier qu'il s'attaque au prequel d'un de ses chefs-d'oeuvre.


Alors une question se pose naturellement: avait-il les yeux plus gros que le ventre ?


En tout premier lieu, une chose est certaine, le cinéaste et ses scénaristes ont voulu s'éloigner du minimalisme du tout premier Alien et de fomenter, en quelque sorte, une nouvelle franchise, une nouvelle saga, une nouvelle mythologie. Comme le titre l'indique, le film est une allégorie du mythe de Prométhée et de tout ce qui l'entoure. D'ailleurs le lien se fait dès l'excellent prologue, qui met le spectateur tout de suite dans le bain. De cette scène, on assiste à un sacrifice rituel d'un Ingénieur se donnant la mort, pour mieux donner la vie, grâce à son ADN. C'est de là que découlera le point central du film, enfin la thématique principale tout du moins: le rejet du créateur à l'égard de sa progéniture, et inversement. Dès que le parent ou l'enfant constitue une déception (voire un fardeau) pour l'autre, il y vient l'irrémédiable envie de détruire son prochain.


Le scénario est très ambitieux dans ses thématiques. Il est fort probable, voire certain, qu'il soit trop ambitieux pour un film d'à peine deux heures. On y décèle quelques coupes et quelques raccourcis maladroits (en espérant qu'une éventuelle version longue puisse corriger le tir). Mais peu importe le récit est fluide, on ne voit pas le temps passer, il y a toujours un évènement qui arrive sans prévenir. Et c'est là que je remarque qu'il a été pertinent d'avoir engagé Damon Lindelof. Il sait instaurer du rythme et il sait également comment faire pour intriguer le spectateur (en multipliant les pistes), rendre les choses mystérieuses, exprimant des interrogations diverses et variées. Bon après, pour ce qui d'apporter des réponses, c'est une autre affaire. Et c'est bien pour ça que je ne souhaite pas de suites explicatives.


Au vu des critiques unanimes à son égard, ça peut sembler surprenant, mais je trouve le scénario assez bon (s'il m'a emporté du début jusqu'à la fin, c'est qu'il est bon à mes yeux). Je suis ravi que ce ne soit pas une prequel classique, ne répondant que partiellement aux questions que tout le monde se posaient. L'équipage du Prometheus n'atterrit pas sur la même planète que celle découverte plus tard dans Alien. En conséquence, le Derelict ainsi que le space jockey fossilisé sur son siège, n'ont rien à voir avec le tout premier épisode de la franchise Alien. A vrai dire, je suis rassuré et satisfait par ce parti pris, cette volonté de creuser et d'explorer le mythe d'une espèce inconnue, et non de montrer par l'image un évènement précis dont tout le monde se fiche ou presque.


Et si Prometheus se déclinait en plusieurs volets avec pour menace commune les Ingénieurs ? Délaisser l'Alien ce serait assez couillu ! Enfin bref, je m'égare.


Pour en revenir au script, j'ai beau dire que je l'apprécie en tant que tel, néanmoins force et de constater qu'il y a certaines scènes qui passent pas très bien. Soit parce que c'était inutile de les inclure (le flashback de Shaw jeune, le xénomorphe à la toute fin), soit parce qu'elles sont grossièrement écrites (Millburn et Fifield qui se perdent dans les galeries, Fifield qui revient en mode infecté).


Mais tout ça c'est du détail pour moi, tant j'ai pris un panard total en regardant Prometheus. J'étais comme ces scientifiques j'avais hâte de découvrir ce qu'il se tramait sur cette planète. Puis il y a tellement de scènes géniales qu'elles permettent de relativiser, de prendre du recul sur ses petites erreurs.


Puis il y a des personnages très attachants comme Shaw (Noomi Rapace LA révélation du film), cette dernière en prend plein la tronche que ce soit physiquement ou psychologiquement. En dépit de tous ces obstacles, elle tient debout, elle encaisse bien la petite. Voilà un personnage féminin très fort sans que l'on tombe dans le cliché de la femme autoritaire ou de la femme guerrière. Une spécialité chez Ridley Scott.


Il y a aussi David, l'androïde joué par le charismatique Michael Fassbender. Qui est, probablement le personnage le plus complexe et ambivalent du film. Il est imprévisible, en fonction de ses actes on se demande s'il s'est affranchi de ses créateurs, ou non. J'ai l'impression parfois qu'il se sert de l'Homme pour mener à bien ses expériences ou pour étancher sa soif de connaissances. Et quelques fois je me dis, qu'il est juste soumis aux directives de son "père". J'arrive pas à le saisir, et c'est probablement pour ça qu'il est fascinant.


Dans une moindre mesure j'ai bien aimé Vickers pour sa froideur affirmée et sa relation détestable qu'elle entretient avec David. Mais aussi Janek le pilote, qui est plutôt cool pour son "je-m'en-foutisme" assumé et son sens des responsabilités. Holloway aussi est attachant, malgré son impétuosité et son côté infantile. Lorsqu'il meurt cramé au lance-flammes, ça m'a ému.


Ces trois là, restent quand même des protagonistes sous-exploités. Et je ne parle pas du reste de l'équipage, qui sont quelque peu inexistants. A la limite, je m'en contrefiche dans la mesure où j'ai adhéré à la caractérisation d'au moins un personnage. C'est déjà énorme pour un blockbuster.


En revanche, là où le long métrage excelle c'est sur la forme, et c'est là qu'on est ravi de revoir Ridley Scott à la manoeuvre d'une oeuvre de science fiction. De prime abord, je trouve la direction artistique quasiment irréprochable. Que ce soit les designs (intérieurs et extérieurs) des vaisseaux, des véhicules, des décors, des combinaisons que portent les personnages, etc... C'est tout juste si on peut reprocher un manque de folie ou d'originalité pour ce qui est du bestiaire. Mais dans l'ensemble, les bestioles sont assez réussies, même et surtout le space jockey. Qui a une apparence radicalement différente de ce que l'on pouvait imaginer jusque là. Dès lors que l'on accepte que c'est un extra-terrestre ressemblant à un humain ça passe. Je le trouve même ultra charismatique avec sa combinaison biomécanique, on dirait carrément une seconde peau.


Pour ce qui est des effets spéciaux c'est la folie également: le studio Weta Digital a fait un boulot impressionnant, les CGI se fondent remarquablement bien dans le décor (réel ou non). Ce qui rend encore mieux c'est l'amalgame de ces effets qui font la magie du cinéma. Que ce soit des effets numériques, des animatroniques, des maquillages, ou alors des décors en dur, il y a une certaine harmonie là dedans.


Pour ce qui est de la mise en scène, on retrouve bel et bien le Ridley Scott inspiré, que l'on avait perdu depuis Kingdom of Heaven. Non pas que ses longs métrages suivant furent mal réalisés, toutefois il se contentait juste de faire le boulot, sans plus.
Sur Prometheus il fait valoir son talent d'esthète, avec son lot de plans sublimes qui arrachent la rétine (le crash des deux vaisseaux, j'en ai eu des frissons de plaisir). Avec son sens du gigantisme, il arrive à rendre spectaculaire des scènes qui peuvent être banales chez n'importe qui.
Maintenant, j'ai une légère réserve sur le montage dans son ensemble, sur un point précis: il manque quelques pauses contemplatives, ce qui faisait le sel de ses deux autres films de science fiction.


Pour finir sur la note sensorielle, je vais en toucher quelques mots sur la composition musicale de Marc Streitenfeld. Alors que j'avais de gros doutes au départ, je fus agréablement surpris par son travail. Certes, on est loin de ce qu'a pu fournir le mythique Jerry Goldsmith, mais tout de même, il y a 3 ou 4 morceaux excellents. Puis pour le reste, il sait instaurer une ambiance.


En guise de conclusion, je vais me contenter de revenir à ma question initiale et d'y répondre brièvement: oui d'une part et non d'autre part.
Oui, car on n'atteint pas le chef d'oeuvre espéré, l'oeuvre parfaite qui fera date dans l'histoire du cinéma.
Non, car ça reste tout de même un sacré bon film de science fiction à l'ancienne, qui pose les bonnes questions quant à notre condition humaine, et qui surtout procure une réelle sensation d'évasion et d'émerveillement. Et ça, mine de rien, c'est plutôt rare dans le cinoche d'aujourd'hui.

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le 24 sept. 2015

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Jubileus

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