Alors que les États-Unis découvrent depuis quelques années ce que les gaz de schiste pourraient leur apporter en termes d’indépendance énergétique et de potentialité de croissance économique, le réalisateur Gus Van Sant bâtit son dernier film, Promised Land, sur les conséquences pour une population rurale, faite de laissés-pour-compte, de l’arrivée de deux représentants d’un grand groupe venus signer des baux lucratifs et prometteurs en vue de forer leurs terres aux sous-sols riches de matières premières. L’homme et la femme mandatés par la compagnie sont des experts de la négociation, agissant en douceur, gagnant la sympathie des habitants de la petite bourgade mais un enseignant à la retraite, féru de physique et d’écologie, se met en travers des projets de Steve Butler et de Sue Thomason. Les affaires se compliquent davantage à l’arrivée d’un militant écologiste qui sème le doute dans la communauté et entrave largement la mission de Steve Butler.

Celui qui a fait de Portland son fief et son territoire de prédilection construit sa carrière sur deux fronts : l’œuvre expérimentale, celle qui lui vaut les récompenses et les dithyrambes (My Own Private Idaho, Elephant, Gerry, Last Days,…) et les films plus classiques et traditionnels, de facture hollywoodienne avec casting à l’appui et budget idoine (Prête à tout, Will Hunting,…). Incontestablement, Promised Land fait partie de la seconde catégorie : en effet, le film dans son dispositif narratif est on ne peut plus classique, renforcé par la présence de la star Matt Damon, qui produit également le film et avait initialement manifesté l’intention de le réaliser. Cela n’en fait pas pour autant un long-métrage mineur, à jeter ou à mépriser. Car il apparait que l’ambition du réalisateur de Paranoïd Park, qui met d’abord en scène un film engagé – une démarche qui lui tient à cœur depuis qu’il réalisa Harvey Milk, le biopic du politicien homosexuel - , se situe bien au-delà des interrogations légitimes et largement controversée sur l’exploitation par fracturation des terres agricoles pour faire une sorte d’arrêt sur images de l’Amérique actuelle. D’un côté, des ruraux premières victimes de la crise que les politiques à Washington ou New York ignorent jusqu’à découvrir leur intérêt, de l’autre un homme archétype d’une époque sans mémoire, seulement préoccupé de son business cynique et lucratif, reniant ses origines et manipulant les crédules paysans achetés pour quelques milliers de dollars.

Jusqu’où Steve Butler jouera ce jeu mesquin, aux effets dévastateurs et y aura-t-il un élément déclencheur pour renverser la situation ? C’est là toute la question d’un film qui se singularise étrangement par sa douceur et son aspect apaisé, sans doute parce que l’environnement naturel contribue largement à cette atmosphère. Aussi parce que les échanges qui opposent les protagonistes (Steve, l’enseignant et le militant vert) se font-ils sans violence ni agression, plutôt dans un climat de partage et de l’écoute de l’autre. Plus que jamais, on verra que le diable se niche dans les détails et c’est bien cette impression de minutie modeste et de discrétion efficace qui caractérise le mieux Promised Land, qui n’a certes pas besoin de faire dans l’exagération ou la surenchère pour rendre compte de l’opacité d’un monde prônant avec une amoralité sidérante la transparence et le bien de l’humanité. Faussement tranquille, réellement lucide, le film prend toute sa dimension dans les non-dits et les marges, réussissant contre toute attente à faire naitre une émotion authentique.
PatrickBraganti
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le 26 avr. 2013

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