Providence
7.2
Providence

Film de Alain Resnais (1977)

Un arbre, dans le parc d’une propreté cossue. Un mur couvert de végétation de cette même demeure.
Gros plans inquiétants et angles inhabituels.
En deux plans simples et magistraux, Resnais impose une ambiance et un message: les apparences sont forcément trompeuses, et les éléments les plus anodins recèlent, selon comment on les regarde, de sombres secrets.

-Entre, Resnais. Parle à la foule-

Il ne faudrait pas que les plus jeunes d’entre vous pensent que le travail de Resnais se limite aux dernières pochades Arditi-Azemesques. A de la comédie franchouillarde un poil décalée et absolument inoffensive. Car après avoir illustré de manière spectaculaire le documentaire dans les années 50 (nuit et brouillard, si on ne doit en citer qu’un), et marqué les esprits avec "Hiroshima mon Amour" ou "L’année derrière à Marienbad", Alain a été capable de choses absolument étonnantes dans un paysage hexagonal qui ne semblait plus capable d’audace qu’à travers une nouvelle vague par ailleurs si particulière.
Avec son "Je t’aime je t’aime" virant vers une anticipation pur jus (et ne manquant pas de points communs avec ce film) ou une participation à "l’An 01", radical d’engagement et de drôlerie, le réalisateur a démontré sa singularité et son talent hors-norme dès le milieu des années 60.

-Resnais sens-

Si le genre qu’emprunte Providence existait bien avant lui et sera par la suite encore maintes fois exploré, la version proposée par Resnais s’illustre par une qualité d’écriture et une liberté de ton prodigieuse.
Un vieil écrivain mourant passe une nuit cauchemardesque et tente de s’accrocher tant bien que mal à la vie en imaginant son dernier roman, autobiographique. Un maelström de souvenirs, de fantasmes, de tentatives avortées de mise en scène de ses proches, de réinterprétations, de commentaires, vont se succéder dans ce qui ressemble d’abord au plus grand désordre.
Pesant et lourd quand il est convenu ou évident dans ses intentions, l’exercice est ici au contraire de haute volée. Les éléments s’emboitent peu à peu avant un final lumineux et amer, procurant un vertige que peu de films peuvent se targuer de proposer.

-Resnais château-

De fait, le résultat est un plaisir protéiforme. Visuel (quels décors !), intellectuel, sensoriel, émotionnel, Providence est un labyrinthe artistique qui déjoue tous les pièges et contourne tous les poncifs avec une maestria qui laisse admiratif. "Un des plus beaux films sur la création" proclame la jaquette de la réédition de ce film rare, permettant pour une fois (exploit supplémentaire) de ne pas exagérer son accroche racoleuse.

Providence, le mot, peut être interprété de deux façons: volonté de dieu ou hasard. Une nouvelle fausse piste dans la mesure où aucune chance n’est intervenue dans cet exercice maitrisé (si ce n’est la folie qu’a pu apporter un casting exclusivement anglophone) et si une volonté fût bien à l’œuvre sur le tournage, ce fût celle exclusive de son son metteur en scène prodigue, alors au cœur de sa période la plus créative.
guyness

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