Psychokinesis
5.7
Psychokinesis

Film de Yeon Sang-Ho (2018)

Voir le film

"Dernier Train pour Busan", son mélange de genres réussi – comme c’est souvent le cas, il faut l’admettre, dans le cinéma sud-coréen - et sa belle énergie nous avaient quand même laissés avec quelques doutes quant au talent de Yeon Sang-Ho, la faute surtout à la lourdeur de ses scènes « sociales ». Et ce n’est pas ce "Psychokinesis", film-Netflix qui plus est, qui les lèvera, puisqu’on parle cette fois d’une réussite beaucoup plus discutable : en faisant intervenir dans un contexte socio-politique chargé un père démissionnaire, devenu super-héros improbable après avoir pris une gorgée d’eau de source contaminée, Yeon Sang-Ho tenait entre ses mains l’un de ces scénarios complexes et malins dont un Bong Joon-Ho a tiré naguère ses meilleurs films ("Memories of Murder" et "The Host"). Le défi était évidemment de faire fonctionner et les scènes d’action, et le psychodrame familial, et les éléments fantastiques du récit, tout en développant une satire sociale pertinente… L’échec de "Psychokinesis" sur une grande partie de ces tableaux nous oblige à admettre que Yeon Sang-Ho n’a pas l’envergure nécessaire à faire tenir debout un programme aussi complexe !


La principale erreur de Yeon Sang-Ho est de miser avant tout sur la comédie burlesque, avec la délicatesse que l’on sait quand il s’agit d’humour coréen : ce choix désamorce largement l’ensemble du dispositif, et dessert particulièrement les personnages, dont on finit par se moquer complètement au bout d’une demi-heure. En parallèle, la réflexion "politique" du film touche à la caricature la plus improbable, et même si l’on veut bien adhérer à cette histoire de collusion entre les intérêts politiques et les objectifs financiers d’un groupe désirant construire un super shopping centre à l’intention des touristes chinois fortunés, au détriment évidemment de la population du quartier expropriée manu militari, ce n’est pas la finesse de l’analyse qui aidera à rendre crédibles nombre de scènes frôlant l’absurde ! Sans doute conscient qu’il va droit dans le mur, Yeon Sang-Ho opère d’ailleurs une rupture audacieuse à mi-parcours, en introduisant le personnage délirant d’une CEO sociopathe, qui fait une bonne fois pour toute exploser toute notion de vraisemblance, mais procure quelques moments franchement décalés qui ne sont pas sans un certain charme.


S’ensuivent les habituelles - et franchement pénibles - scènes de destruction évoquant les pires travers du cinéma US de super-héros, avec heureusement suffisamment de sens du burlesque pour que le spectateur prenne son mal en patience, avant une conclusion pour le moins originale, qui pourrait bien racheter par sa malice une bonne partie des maladresses qui ont gâché "Psychokinesis" : quatre ans plus tard, le projet de construction capitaliste s’est dégonflé comme une baudruche (« Tout ça pour ça !? »), tandis que le meilleur usage que le héros malgré lui puisse faire de ses super-pouvoirs est de servir plus rapidement les bières dans le nouveau restaurant de sa fille, désormais confortablement mariée à un jeune avocat fortuné. Ce coda, plus lucide que cynique, prouve en tous cas que Yeon Sang-Ho a bien saisi la fonction du super-héros dans le système marchand (servir fondamentalement d’image marketing à la vente de tout et n’importe quoi, ici du poulet grillé, comme on ne comprend dans le dernier plan), mais aussi que le cinéma populaire sud-coréen, s’il n’a plus la fulgurance qu’on lui a connu voici une vingtaine d’années, reste capable de porter un point-de-vue lucide sur les travers les plus absurdes, et les plus dérisoires, de la société contemporaine. On aimerait voir de tels éclairs d’intelligence – même passagers – dans le cinéma populaire français !


[Critique écrite en 2018]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Magazine : https://www.benzinemag.net/2018/06/20/vod-psychokinesis-la-super-heros-a-la-sauce-coreenne/

EricDebarnot
6
Écrit par

Créée

le 8 juin 2018

Critique lue 673 fois

5 j'aime

3 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 673 fois

5
3

D'autres avis sur Psychokinesis

Psychokinesis
RedArrow
6

Le super-héros des oubliés sud-coréens

Après un génial périple ferroviaire dans une Corée de Sud en proie à une infection de morts-vivants, Yeon Sang-ho revient par la case Netflix pour son deuxième long-métrage en prises réelles et...

le 28 avr. 2018

7 j'aime

Psychokinesis
Tanja
6

Attrape moi si tu peux !

Netflix ce sont des séries, mais aussi des films originaux. Psychokinesis est un film disponible uniquement sur Netflix il s'agit du dernier film de Sang-ho Yeon le réalisateur de...

le 8 mai 2018

5 j'aime

Psychokinesis
EricDebarnot
6

Dakgangjeong-Man

"Dernier Train pour Busan", son mélange de genres réussi – comme c’est souvent le cas, il faut l’admettre, dans le cinéma sud-coréen - et sa belle énergie nous avaient quand même laissés avec...

le 8 juin 2018

5 j'aime

3

Du même critique

Moi, Daniel Blake
EricDebarnot
7

La honte et la colère

Je viens de voir "Moi, Daniel Blake", le dernier Ken Loach, honoré par une Palme d'Or au dernier festival de Cannes et conspué quasi unanimement par la critique, et en particulier celle de gauche....

le 31 oct. 2016

205 j'aime

70

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

99

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

183 j'aime

25