Psycho est un film dégueulasse. Un film crade, sale, traitant d'un sujet banal et bancal digne d'une vulgaire série B, qui lorgne même parfois vers la Z. Mais en même temps, et sans que cela n'ait rien de contradictoire, Psycho est une œuvre monumentale, un film qui marque à vie et dont il est impossible de se défaire. Psycho arrive dans la carrière d'Hitchcock au moment où celle-ci est à son apogée, et depuis un bon moment. Il vient d'enchaîner successivement Le Crime était presque parfait, Fenêtre sur cour, La Main au collet, Mais qui a tué Harry ?, L'Homme qui en savait trop, Le Faux Coupable, Vertigo et La Mort aux Trousses, soit autant de chefs-d'œuvre ou, à défaut, de succès publics, pour nombre d'entre eux. Il est d'autant plus intéressant de noter qu'il le tourne juste après La Mort aux Trousses, le film-engrenage, celui de la maîtrise absolue tant au niveau du scénario que de la mise en scène, sans doute le plus parfait d'Hitchcock, celui auquel on ne peut, même en cherchant bien, absolument rien reprocher.
Prenant tout le monde par surprise, Hitchcock change brusquement de direction en réalisant un film qui sera unique dans sa carrière, et ce pour bien des raisons. Tout d'abord, il revient au noir et blanc, abandonné en 1952 avec La Loi du Silence. Si l'élan premier est sans doute d'atténuer la violence du flot d'hémoglobine et sa couleur rouge vive, il y a aussi la volonté de réaliser un film de genre, une sorte de série B fauchée – le film ne coûta d'ailleurs que 800000 $ -, préfigurant le film gore. Car Psycho est bel et bien un film de genre, même s'il en est devenu, immédiatement et pour des générations, le maître-étalon inspirant les plus grands (Brian De Palma en tête, qui retravaille Psycho dans quasiment tous ses films, ou encore Gus Van Sant qui est allé jusqu'à en faire un remake plan par plan absolument magnifique, une pure œuvre d'art contemporain) jusqu'aux tâcherons (notamment les suites ridicules, Psycho II, III, ... qui sabotèrent la fin de carrière d'Anthony Perkins, montrant aussi combien l'acteur fut hanté toute sa vie par ce film).
Psycho est aussi extraordinairement osé. Hitchcock, comme à son habitude, engage une star, belle et blonde évidemment, Janet Leigh, qui interprète le rôle principal de Marion Crane. Il la montre dès l'ouverture en soutien-gorge, ce qui choqua beaucoup, mais en regrettant de n'avoir pas pu la filmer seins nus pour accentuer la crudité de son propos. Contre toute attente, Hitchcock la fait assassiner au bout de 45 minutes, sabotant son héroïne et sabotant, volontairement, son récit. « Dans Psycho, le sujet m'importe peu, les personnages m'importent peu ; ce qui m'importe, c'est que l'assemblage des morceaux de film, la photographie, la bande sonore et tout ce qui est purement technique pouvaient faire hurler le public. Je crois que c'est une grande satisfaction pour nous, d'utiliser l'art cinématographique pour créer une émotion de masse. », déclare le réalisateur dans l'indispensable ouvrage Hitchcock Truffaut . Sur un film non éloigné de la pornographie, par son côté cru, où toute approche de la chair est faite avec une violence extrême (pour s'en persuader, il suffira de se repasser la célèbre scène de douche), Hitchcock appose une forme qui relève plus de l'art abstrait ou contemporain que des canons de mise en scène hollywoodiens. Il disait, toujours à Truffaut, que « Dans ce genre de film, c'est la caméra qui fait tout le travail », ainsi que « ce qui a ému le public, c'était le film pur » et non le récit ou la crédibilité que l'on pourrait accorder aux personnages, auxquels on ne s'attache pas, évidemment. Et c'est pour cette raison que Psycho a toujours autant d'impact sur le spectateur d'aujourd'hui, même après l'avoir visionné à de multiples reprises. La seule chose qui compte est la mise en scène, et l'aspect radical avec lequel elle est abordée. Pour revenir sur la scène de douche, emblématique, Hitchcock dit que « Le tournage en a duré sept jours et il y a eu soixante-dix positions de caméra pour quarante-cinq secondes de film. » En la regardant bien, elle apparaît comme un portrait cubiste décomposé sous tous ses angles et reconstruit pour générer du sens extrait de la forme. Un détail amusant : lorsqu'on regarde attentivement cette scène, on s'aperçoit que le couteau n'entaille jamais la chair, et qu'aucune partie intime du corps (seins, sexe, fesses) n'apparaît à l'écran. Pourtant, chaque spectateur à le souvenir d'une séquence insoutenable en violence – accentuée il faut le dire par la stridence des violons de Bernard Herrmann –. Cette violence est uniquement inscrite dans la mise en scène, dans le choix des cadrages, dans la multiplicité des plans, et surtout dans la pertinence du montage. Mais pas par ce qui est montré.
FrankyFockers
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le 23 janv. 2012

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