On va laisser tomber l'emploi de la troisième personne, le point de vue objectif, et tous ces artifices journalistiques pour cette critique. Car là, impossible pour moi de ne pas tomber dans la subjectivité après les 1h30 affligeantes que je viens de vivre. Je suis sorti de la salle très agacé, mais cet agacement s'est mué en un autre sentiment et c'est à présent de l'inquiétude que j'éprouve. De l'inquiétude car avec le recul, tout paraît pire.

Premièrement et avant d'aborder la question du message que porte le film, évoquons son côté cinématographique. Et ça va aller bien vite : la mise en scène est presque constamment plate (la première minute est à peine ingénieuse) ; les décors sont classiques, la photographie est convenable, mais les acteurs jouent très mal. Il est d'ailleurs frappant de constater que la palme du meilleur acteur - au bout du compte - revient à Christian Clavier, parfait en vieux bobo "Gaulliste" (puisque ce terme existe encore apparemment), n'ayant pas besoin de forcer ses traits pour rendre son personnage crédible et un minimum comique (déjà Clavier qui veut parler de tolérance, c'est comme Marseille qui veut parler de Ligue des Champions, ç'aurait dû m'alerter). Le scénario est bidon, l'essentiel de la trame repose sur ce foutu mariage qui n'arrive jamais. En somme, du cinéma très très basique.

Mais le plus gros problème du film, et le plus dérangeant pour moi c'est le message qu'il porte. Rien que le titre est hypocrite, racoleur. On veut nous vendre un message de paix ou je ne sais quoi et on adopte le point de vue d'un couple gaulois pur souche renfermé sur lui-même. Si encore, le réalisateur avait choisi un titre montrant l'évolution de ces personnages-là, très bien. Mais ce n'est même pas le cas, symbole effrayant d'un film qui fait mine de bouger les lignes alors qu'il ne les chatouille même pas.

La salle était comble ; le public (très) âgé car attiré par ce qu'il croit être son problème (l'ouverture ça fait peur AAAAAH) : ses trois filles qui se marient respectivement avec un arabe, un juif, et un chinois, et sa dernière qui se marie avec un catholique... noir. AHAH on se fend la poire dans le cinéma français ! Sauf que déjà-là, il y a un problème : on fait l’amalgame entre origine et religion (arabe et juif ; chinois et noir). Mais le racisme s'attaque aux deux, j'avais oublié. Bon, lors de la première partie, on a le droit à toutes les blagues déjà faites 1000 fois sur les clichés des uns et des autres, mais même là c'est un échec : soit on va dans cette direction (très bien, pas de soucis) et on fait de l'humour sur le racisme et l'anti-racisme (dans ce registre-là, Ngijol et Eboué - par exemple - sont bien meilleurs), soit on ne le fait pas ! Ici, De Chauveron ne s'y engouffre qu'à moitié : la salle pousse des "Oooh" de pseudo-offence et se croit totalement folle à chaque vanne qui dépasse sa ligne rouge imaginaire mais je vous assure qu'à ce niveau-là, mes potes et moi faisions dix fois plus trash, dix fois plus violent et surtout dix fois plus drôle au collège ! Traiter le juif de Rabbi Jacob et le chinois de Bruce Lee ça te fait rire mon facho ? Et quand on t’appellera Pétain, tu rigoleras aussi hein je suppose ? Nous on rigolait au collège.

Ces rires unanimes que pousse constamment la salle me crispent encore plus (et cela en plus du syndrome du "je dis ce que vois" qui semble avoir fait de nombreuses victimes chez les septuagénaires(+), la dame à côté de moi m'étouffant avec des "Oh, la fille", " Oh, le tableau", "Oh, le voiturier"). Un des pires aspects du film selon moi, c'est qu'il prend son spectateur pour un débile (après coup, je crois qu'il n'a pas totalement tord de le faire) : vous avez des clichés en tête ? Vous croyez que l'arabe est un voleur, le juif un commerçant ? Et bien on va vous montrer exactement le contraire ! David (le juif) va ainsi se retrouver à galérer dans le business, et Rachid va être avocat ! Ne parlez pas au réalisateur de manichéisme ou d’antithèse binaire, il s'agit juste de démonter les clichés et les idées reçues ! Ah oui ? Bah non en fait, puisque forcément quand tu vois ça, tu te rappelles du stéréotype. Et quand on te montre des images de l'Afrique centrale, forcément, on te balance les tons rouges, jaunes, oranges un peu chauds et une petite musique d'ambiance bien cliché. Et quand on te montre le père de famille, il a forcément des gros yeux et une grosse voix. Forcément. Et quand on te montre un arabe qui se lève pour chanter la Marseillaise, là t'es forcément achevé, plié, torturé de rire ! Attendez, le père Ivoirien est forcément danseur mais... lui aussi est raciste ! Là, y'a moyen de creuser un peu ! Oui, oui ! Ah bah nan en fait, la morale se contentera d'être : au fond, on est tous un peu racistes.

Hallucinant, oui c'est le mot. Cette morale, selon laquelle on serait tous un peu racistes (mais attention, de gentils racistes), elle est très, très gênante : non pas parce qu'elle sonne totalement faux (hélas), mais parce qu'elle se présente comme une constatation devant laquelle nous ne pouvons qu'hausser les épaules de manière amusée. Pire encore, on utilise des mots absolument ahurissants ("sacrifice", "habitude" ...) pour qualifier ce dit "mélange des cultures". Et ne me faites pas croire que Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? véhicule un message de tolérance ou de paix entre les peuples. Car cette fameuse France "Black Blanc Beur" (cf le livre de Daniel Riolo RFC) qu'on veut nous vendre, c'est déjà une erreur de la prendre comme telle : le chinois joue le chinois, le noir joue le noir, l'arabe joue l'arabe, etc... MAIS, on leur a filés deux-trois traits bien à l'encontre des clichés qui leur correspondent. Le problème, c'est qu'avant d'être considérés pour ce qu'ils sont (des humains, au plus des français), ils sont définis par rapport à leurs origines ethniques. C'est ça transcender les clichés ? Et bien pour moi, peut-être grand utopiste, non. Le progrès aurait été justement de les intégrer sans JAMAIS rappeler leurs origines.

En tout, j'ai du esquisser deux ou trois sourires pour l'efficacité éternelle de quelques vannes bien placées. Cependant et comme je l'ai déjà dit, ce film m'inquiète plus qu'autre chose. Le film a déjà dépassé les 1 millions d'entrées et va sans doute en faire bien plus. Faire de nos différences et de nos peurs une comédie, ce n'est pas un message, c'est une honte. Et si pour une fois, au lieu d'essayer de décomplexer ce qui nous sépare, on cherchait un peu à vendre ce qui nous rassemble ?

Ah, et j'oubliais : pas un seul propos, un seul terme, ne serait-ce qu'une seule lettre sur la montée de l'extrême droite ou le FN : pas question d'irriter son spectateur. Lui qui vote Le Pen, lui qui s'est bien marré pendant une bonne heure, histoire de refouler ses tendances racistes en croyant se laver la conscience pour quelques minutes mais qui sortira finalement conforté dans sa position. Lui qui ira même jusqu'à se défendre : "Je ne suis pas raciste ! La preuve j'ai été voir Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?" ! Oui, moi aussi je fais dans le cliché.
critikapab
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le 27 avr. 2014

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