Arrête de ramer, t'attaques la falaise ! par Claire Magenta

Faut-il être né à Rouen comme Pierre Corneille pour subir un tel outrage à la vision de la première comédie du pornocrate Michel Caputo Qu'il est joli garçon l'assassin de papa, ou la libre adaptation du Cid par le cinéaste du non moins fameux (?!) Embrochez-moi par les deux trous et par le producteur de La chatte sur un doigt brûlant ? Réputez comme étant l'un des pires films que la comédie franchouillarde ait pu produire ces quarante dernières années, Arrête de ramer, t'attaques la falaise ! le long de ses 70 minutes demeure, aujourd'hui encore, une agression perpétuelle pour la santé mentale de ses victimes consentantes. Un film dont le pouvoir de nuisance pourra évoquer par moment aux plus résistants les meilleures pages cinématographiques d'un Philippe Clair, mais n'allons pas trop vite...

12 juillet 1083, l'Espagne est envahie par les Maures. La situation est grave. Le roi de Castille commence à maigrir. Ça lui fait des oreilles immenses sous sa casquette. On dirait des ailerons. Bref il a la trouille. Il s'est retranché dans son palais avec Rodrigue, le Cid, le héros, pour attendre les hordes de Moctadir.
Pendant ce temps là, l'infante d'Espagne, qui a une araignée au plafond et de la surchauffe dans la crinoline tellement elle est amoureuse du Cid, se consacre à son sport favori qui consiste à réciter des vers dans le supermarché voisin...

Un texte introductif décalé, narré d'une voix goguenard, juste après un générique porté par une musique des plus nocives (4) et animé par l'amicale des marionnettes en chiffon, Caputo aura donc su faire illusion le temps d'admirer une infante d'Espagne d'opérette déambulant, elle et son cadis, dans le rayon des produits frais, la main gauche dans un camembert pasteurisé et les vers de Corneille en guise de récital. User des plus beaux effets pour appâter le chaland venu réclamer sa pitance déviante, le préposé n'en attendait pas moins de la part d'un des plus prolixes réalisateurs de films porno de la fin des 70's. Corriger à grands coups de triques anachroniques le classique de Corneille pouvait partir d'une louable et savoureuse intention, encore fallait-il s'offrir les moyens d'un tel détournement et tenir la distance en gardant une vigueur satisfaisante.

A défaut de comique délirant ou de satire burlesque, Caputo offre aux plus valeureux un menu plutôt roboratif (mais gare à l'indigestion). Car notre néo-champion de la gaudriole offre un joli numéro de portnawak qui pourrait bien en laisser quelques-uns sur le bas côté devant tant de vulgarité molle et de fausse grandiloquence. Une direction d'acteurs proche du néant et une mise en scène brouillonne guidée par des acteurs en roue libre laisse à penser rapidement que notre homme dirige mieux son petit monde dès qu'il porte les noms de Michel Baudricourt ou Michel Anthony.

Les quelques déviants restants devraient-ils dès lors penser à quitter la dite barque ? Pas forcément si ceux-ci se gargarisent de numéros d'acteurs frôlant l'art délicat et subtil du passage inter-dimensionnel. La comédie avec de tels spécimens apporte en effet son lot de stupéfactions, un voyage vers l'absurde au-delà des limites et de la consternation, une expérience extra-sensorielle en quelque sorte pour trompe-la-mort nanar, en conclusion un défi à la santé mentale du spectateur. Si la prestation en préambule de Dominique Erlanger annonçait la couleur, la suite avec Micha Bayard / Elvire en servante version nounou pour sales mioches fait monter d'un cran un Nanarotron qui n'en demandait pas tant avant les performances et montée en puissance de la paire Gélin/Maistre, Bernard Haller en curé, et bien évidemment notre champion du monde des poids lourds (toutes catégories) : Michel Galabru en Colonel Don Fernand... laissant aux oubliettes nos deux fades « jeunes premiers » dans l'ombre des maîtres précités.

Michel Caputo livre donc un exemple parfait du film foutraque : les comédiens improvisent, en font volontairement des tonnes (et dès qu'ils récitent Corneille...), et cachent difficilement leurs fous rire durant les prises. Produit par Jean-François Davy, autre pornocrate célèbre et responsable d'une autre comédie restée dans la postérité déviante (Ça va faire mal !), Arrête de ramer, t'attaques la falaise ! par sa salvatrice absence de retenue tend également à évoquer les premiers méfaits de Philippe Clair (Le führer en folie, La grande maffia), soit un tourbillon où la cohérence n'a plus sa place. Pour l'anecdote, le même Clair réalisera aussi sa version du Cid l'année suivante sous le titre : Rodriguez au pays des merguez. CQFD.
Claire-Magenta
9
Écrit par

Créée

le 30 janv. 2013

Critique lue 792 fois

5 j'aime

1 commentaire

Claire Magenta

Écrit par

Critique lue 792 fois

5
1

D'autres avis sur Arrête de ramer, t'attaques la falaise !

Arrête de ramer, t'attaques la falaise !
Fry3000
1

Arrête de regarder, tu te ruines les neurones !

J'hésitais entre mettre 1 et 10... j'ai finalement mis 1, car je n'ai pas un aussi bon sens de l'humour que les géniteurs de ce film. Ca se résumé ainsi : c'est tellement idiot, tellement cheap, et...

le 24 sept. 2010

9 j'aime

2

Arrête de ramer, t'attaques la falaise !
Claire-Magenta
9

Critique de Arrête de ramer, t'attaques la falaise ! par Claire Magenta

Faut-il être né à Rouen comme Pierre Corneille pour subir un tel outrage à la vision de la première comédie du pornocrate Michel Caputo Qu'il est joli garçon l'assassin de papa, ou la libre...

le 30 janv. 2013

5 j'aime

1

Du même critique

Low
Claire-Magenta
10

En direct de RCA

— Si nous sommes réunis aujourd’hui messieurs, c’est pour répondre à une question, non moins cruciale, tout du moins déterminante quant à la crédibilité de notre établissement: comment va -t-on...

le 7 mai 2014

20 j'aime

8

Sextant
Claire-Magenta
9

Critique de Sextant par Claire Magenta

La règle générale voudrait qu'un artiste nouvellement signé sur un label, une major qui plus est, n'enregistre pas en guise de premier disque contractuel son album le plus expérimental. C'est...

le 28 juil. 2014

17 j'aime

Y aura t-il de la neige à Noël ?
Claire-Magenta
8

Critique de Y aura t-il de la neige à Noël ? par Claire Magenta

Prix Louis Delluc 1996, le premier film de Sandrine Veysset, Y'aura t'il de la neige à Noël ?, fit figure d'OFNI lors de sa sortie en décembre de la même année. Produit par Humbert Balsan, ce long...

le 19 déc. 2015

16 j'aime

1