Vingt minutes de folie furieuse et naissance de deux monstres sacrés : « Quand on est amoureux, c'est merveilleux », malgré son statut de court-métrage, est une taloche d'amplitude planétaire, le genre de film si parfaitement maîtrisé dans sa forme et dans son style qu'il n'appelle aucune contestation. A voir d'abord pour la photo de Benoît Debie, chef op qui illuminera plus tard les autres films de son compère Du Welz (parmi tant d'autres réalisateurs irremplaçables), qui livre ici une véritable ode à la crasse humaine, un concentré de désespoir graphique qui happe dès les premières secondes pour ne pas relâcher. Le style visuel est tout simplement ahurissant de justesse dans cette dominante glauque qu'il se fixe pour ligne directrice, où l'expression « broyer du noir » prend tout son sens. L'ensemble du métrage est éclairé d'une lumière triste, tamisée, paradoxalement agressive, qui se répand insidieusement dans le cadre comme un venin dans le sang. L'action, presque entièrement concentrée dans un appartement miteux, joue à merveille d'une misère urbaine sans retour : la laideur d'un papier peint, la saleté d'une cuisinière maculée d'huile de cuisson, le moelleux excessif d'un canapé trop vieux, chaque image agit sur l'oeil du spectateur avec une précision chirurgicale, à tel point qu'on a l'impression de sentir l'odeur de ce décor domestique, d'en toucher les textures poussiéreuses ou collantes. Du Welz, le réalisateur, n'interviendrait presque qu'en renfort : caméra sur l'épaule discrète pour donner à son film un style documentaire, fausse neutralité qui donne l'illusion d'une parfaite objectivité alors qu'à tout instant le trait est forcé pour montrer, dans une exagération totale, une horreur domestique sans retour. En renfort, l'actrice Edith Le Merdy, dos voûté et regard vide, absolument parfaite en mégère célibataire à la libido déréglée, transmet par ses mimiques de vieille avant l'heure un sentiment de solitude écrasant.

« Quand on est amoureux, c'est merveilleux » est un pur exercice de style, un art du sinistre poussé dans ses derniers retranchements dont l'objectif semble n'être que provoquer. Il n'y a aucun fond, au sens propre comme au figuré, car il ne s'agit que de montrer la solitude abyssale, ni expliquée ni guérie, d'en épuiser les possibilités aux niveaux visuels et sonore (associée à l'image, la musique fout un bad total). C'est une bulle d'horreur génialement mise en image, qui s'autorise ici et là quelques saillies d'humour bien grinçant (Jackie Berroyer en boucher, Jean-Luc Couchard en jeune homme littéralement difforme), qui emporte le spectateur au bout d'une nuit plus noire que noire. Ça ne sert absolument à rien, c'est gratuit, c'est affreux sans la moindre contrepartie, et pourtant c'est si beau, au sens formel du terme, qu'on en redemande. Debie, par la suite, s'éloignera de ce travail « ultra-borderline » pour s'aventurer au pays des couleurs, notamment chez Dupontel : il fait ça bien, mais juste pour rire (ou mourir) on se prend à rêver qu'un équivalent à ce premier métrage malade et parfait voie le jour en format long. En attendant, aucune excuse pour ne pas regarder ce petit chef-d'oeuvre, trouvable assez facilement en streaming ou présent en bonus sur le DVD de "Calvaire" de ce même duo de Belges au talent juste démesuré.
boulingrin87
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 20 mars 2013

Critique lue 584 fois

2 j'aime

Seb C.

Écrit par

Critique lue 584 fois

2

D'autres avis sur Quand on est amoureux, c'est merveilleux

Quand on est amoureux, c'est merveilleux
boulingrin87
9

Noir, c'est noir

Vingt minutes de folie furieuse et naissance de deux monstres sacrés : « Quand on est amoureux, c'est merveilleux », malgré son statut de court-métrage, est une taloche d'amplitude planétaire, le...

le 20 mars 2013

2 j'aime

Quand on est amoureux, c'est merveilleux
stebbins
9

Femmes des années 90, femmes jusqu'au bout des cuisses...

Fin des années 90. Fabrice Du Welz sort de nulle part et fait ses premières armes avec un édifiant court métrage ironiquement intitulé Quand on est amoureux c'est merveilleux... En une petite...

le 19 oct. 2019

1 j'aime

Du même critique

The Lost City of Z
boulingrin87
3

L'enfer verdâtre

La jungle, c’est cool. James Gray, c’est cool. Les deux ensemble, ça ne peut être que génial. Voilà ce qui m’a fait entrer dans la salle, tout assuré que j’étais de me prendre la claque réglementaire...

le 17 mars 2017

80 j'aime

15

Au poste !
boulingrin87
6

Comique d'exaspération

Le 8 décembre 2011, Monsieur Fraize se faisait virer de l'émission "On ne demande qu'à en rire" à laquelle il participait pour la dixième fois. Un événement de sinistre mémoire, lors duquel Ruquier,...

le 5 juil. 2018

77 j'aime

3

The Witcher 3: Wild Hunt
boulingrin87
5

Aucune raison

J'ai toujours eu un énorme problème avec la saga The Witcher, une relation d'amour/haine qui ne s'est jamais démentie. D'un côté, en tant que joueur PC, je reste un fervent défenseur de CD Projekt...

le 14 sept. 2015

72 j'aime

31