Quand on se dit qu'à peine 5 ans plus tard Tarkovski signe le magnifique L'enfance d'Ivan (voir lien critique ci-dessous), on se rend compte qu'on est tout de même à des années-lumières de tout ça. Quand passent les cigognes a tout d'abord beaucoup plus vieilli qu'Ivan mais avant tout, il pâtit d'un traitement filmique beaucoup plus superficiel, tant formellement que sur le plan des idées.
Certes, la bande-son nous arrive en piteux état. Certes, les transitions entre les scènes nous semblent bien trop incohérentes, allant à l'encontre de la supposée "unité" soulignée par le jury Cannois d'alors (encore une palme d'or politique, décernée en temps de dégel des relations entre l'URSS et l'Europe Occidentale). Certes, le récit, plus que convenu, n'est qu'un mélo (à la Un homme et une femme de Lelouch, en quelque sorte - vous aurez compris la citation) sur lequel il faut longtemps gratter pour trouver un semblant de réflexion (la faute, la souffrance puis la rédemption - rien de bien nouveau en somme). Cependant ce n'est par là que nous allons l'attaquer.
Séduit d'abord par le prologue, nous offrant des scènes magistrales - et qui, selon nous, soutiennent à elles seules sur leurs frêles épaules le film -, on se plaisait à croire au chef d’œuvre avant de crier à l'entourloupe. Oui, l'amour ça fait tourner la tête; oui, les promenades sur le quai le dimanche après l'usine, c'est joli, surtout quand le photographe cadre aussi bien les panoramiques et les clairs-obscurs sur les mollets de Veronika; oui, les plans en plongée / contre-plongée / gros plans sont souvent très maîtrisés.
Toutefois, une fois que l'homme quitte son amour pour la tromper avec la mort, le spectateur reste sur sa faim. Après une brève tentative d'un parallélisme au moyen de syntagmes alternés, le récit met en arrière-plan l'homme, au lieu d'une confrontation entre les deux destinées séparées qui aurait été plus pertinente. Il nous reste bien d'excellentes scènes comme celle de la foule que traverse Veronika (Tatiana Samoïlova), la mort de Boris (un peu trop pompeuse à nos yeux) ou encore celle de l’hôpital avec le discours du père de Boris, Vassili (Fiodr Ivanovitch). Oui, mais outre cela, c'est le vide. De beaux ornements, comme le disait Rohmer, mais rien de plus - ou presque. Le front, presque absent de l'image (alors qu'il est au centre du film), est lâchement remplacé par la vie des non-engagés. L'épaisseur psychologique qu'aurait méritée le personnage de Veronika souffre d'un manque de vraisemblance en raison d'un portrait maladroit et des ellipses mal choisies qui la condamnent à l'incompréhension voire à l'aversion. Enfin, hésitant entre narration et poésie sans jamais vraiment choisir, Kalatozov ne trouve jamais la forme adéquate pour épouser son projet.
Alors, vous aussi, vous avez été aveuglé(s) et trompé(s) par la beauté?
https://www.senscritique.com/film/L_Enfance_d_Ivan/critique/111238282