Quand Passent Les Cigognes, Palme D’Or de 1957, réalisé par Mikhaïl Kalatozov, revient sur l’entrée en guerre de la Russie durant la seconde Guerre Mondiale. Il marque un tournant dans le modèle de conception du cinéma par la Mosfilm.


Tout d’abord, il introduit une vision littéraire dans le septième art en URSS. Le cinéaste s’inspire de la littérature du XVII° s, une approche romantique du récit. De la sorte, la lecture de Quand Passent Les Cigognes peut s’effectuer à travers le spectre de Roméo Et Juliette de Shakespeare à face cette impossibilité de rassembler deux âmes sœurs. La guerre devient le mur entre les cœurs.


La perception stalinienne des arts disparaît. Ici, aucune trace d’héroïsme infaillible, ou bien d’une union nationale indéfectible, le film s’impose de manière sensible sur la condition humaine en temps de guerre, sur la place de l’amour au milieu du chaos.


A la manière de Tolstoï, les amants ne forment plus qu’une seule entité, liée par le destin où les actions de l’un influeront sur le destin de l’autre malgré les kilomètres qui les séparent. De ce fait, la fidélité de la femme, influe directement sur la survie de l’homme. Tout comme le péril et les actions de l’homme en temps de guerre influent sur les condition de vie de la femme.


L’oeuvre de Kalatozov, met en parallèle la dualité entre une population orientée vers l’industrie de la guerre, l’effort de guerre et le front où les affrontements armés font rages. Le réalisateur développe le concept de l’attente. Il dresse des personnages dans l’attente de la fin de la guerre. Les citoyens ont mis leur vie en suspension attendant l’armistice. Les couples divisés, attendent l’hypothétique retour de l’être aimé. Les civils attendent dans le métro que les bombardements cessent. Les hommes dispensés attendent la mort des maris pour demander la main des veuves de guerre. Les êtres se découvrent soldats, infirmiers ou bien armuriers, ils attendent le retour de leur vocation. Les vœux, les rêves ont migré à la façon des cigognes, de la nature, attendant la rupture destructrice que s’impose le genre humain.


Ainsi, Kalatozov, oriente son long-métrage autour d’une problématique humaine où la nature se retire pour se préserver. On voit les cigognes partir à la veille de la guerre. Elles fuient une annihilation qu’elles parviennent à percevoir, en utilisant leur sixième sens. L’intégralité de ce que nous donne à voir la caméra du réalisateur, résulte de l’activité humaine. La caméra frénétique, aérienne, parcourt les villes métamorphosées par les bombardements, les installations de défense et les véhicules de guerre. La gestion de la caméra est prodigieuse. Elle devient un personnage, partie intégrante de l’histoire, de la structuration d’une œuvre d’art. Une gestion des plans qui a sans aucun doute inspiré des cinéastes tels que Aleksei Guerman ou encore Béla Tarr. L’œil du cinéaste sur le front, donne quant à lui, une perception d’une nature ravagée, où les êtres se perdent, s’enfoncent et disparaissent dans la fange. Les corps alimentent la terre, donnent à sa destruction les outils pour renaître, verdir et se perpétuer, puisse le sommeil ne pas demeurer éternel. On ne peut qu’espérer revoir un jour les cigognes traverser les cieux.


La seule possibilité pour les êtres de subsister, de survivre, est la naissance de l’espoir. C’est avec cette lueur, cette vision hypothétique et positive, que le film parvient à briller dans l’obscurité de la guerre. Les images, les séquences jouent avec les ténèbres pour toujours rogner un encart visuel laissant transparaître dans le plan une issue lumineuse. Il ne reste plus qu’au spectateur, tout comme aux personnages du film à transformer l’espoir en émerveillement, s’engouffrant dans cette déchirure éblouissante, fuyant le gouffre dépressif environnant, refusant une existence du vide.


Historiquement parlant, le cinéaste russe a la volonté de développer la question du sacrifice d’une génération. La mise à mort d’une jeunesse pour faire perdurer la nation. Cependant, cette approche pose la question de l’aspect absurde de la guerre avec la volonté de prolonger l’existence d’un peuple, tout en mettant à mort la jeunesse, clé d’un avenir possible.


Enfin, le génie du film prend grâce à Tatiana Samoïlova, protagoniste principale, personnage métaphorique d’un pays en pleine mutation. Elle fascine par son regard, son visage, sa transition identificatoire. Une interprétation comme on en voit peu qui transcende le film et le hisse au rang de chef d’œuvre.


Quand Passent Les Cigognes de Kalatozov, est cette œuvre incontournable sur la guerre portée par le regard sensible et humain d’un peuple, d’une histoire d’amour balayés par les déflagrations de la Seconde Guerre Mondiale. Il est le film de toutes les prouesses tant dans sa technicité, sa direction d’acteur ou tout simplement pour le message qu’il souhaite faire passer. Un des plus grands mélodrames du septième art, si ce n’est le plus grand.

Laloge
9
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le 16 nov. 2019

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