Après avoir torsadé le polar dans L’Horloger de Saint Paul, Tavernier s’attaque au film historique, un genre dans lequel il s’illustrera à de nombreuses reprises. Le goût pour la reconstitution renvoie à cette magie que le cinéma sait construire, et force est de constater qu’après la modestie de son premier essai, cet opus voit les choses en grand, que ce soit par le casting trois étoiles (Noiret-Rochefort-Marielle), les châteaux investis, le prestige des costumes ou les nombreux figurants mobilisés.


Mais tout cela ne compose évidemment que l’écrin initial pour un récit qui s’affranchira dans les grandes largeurs de la naphtaline dans laquelle se confine le genre traditionnel. Que la fête commence est un tableau au vitriol de la Régence, décrite comme une gigantesque orgie cynique, où la corruption, le stupre et l’obscénité du luxe pourrissent des individus se vautrant dans leurs privilèges.


La première moitié du film convoque tous les ressorts de la comédie, jouant d’un certain anachronisme dans la liberté de ton pour parler de la sexualité la plus crue (voire déviante, l’inceste étant souvent évoqué), tout en collant scrupuleusement aux enjeux politiques et idéologiques d’une période. Entre les exactions commises sur les populations (déportation en Louisiane, spoliations diverses) et les intrigues des hommes de pouvoir pour y rester ou monter en grade, une certaine forme d’absurdité féroce s’installe, et qui n’est pas sans annoncer celle qu’on retrouvera dans Coup de Torchon quelques années plus tard. La truculence des comédiens alimente évidemment toute la charge comique, des jurons du maquereau et futur archevêque Rochefort aux déclarations solennelles mais pathétiques du conspirateur Marielle. Les femmes ne sont pas en reste, dans des rôles certes secondaires, mais qui consolident cette atmosphère de permissivité presque lasse, où l’on compare les amants, on se projette des images grivoises à la lanterne magique, et l’on convoque les services des mirebalais lorsque les seigneurs sont trop avinés ou rassasiés de viandes grasses.


Tavernier excelle dans les scènes de groupes, et une profondeur de champ qui donne à voir cette fête épuisante où la fatigue des excès prédomine, comme en témoigne cette macabre séquence d’autopsie de la fille du Régent, ravagée par cette vie de débauche. L’audace des propos, l’absurdité des divertissement (comme celui du jeune Louis XV tirant au canon sur une calèche où il aurait souhaité qu’on remplace le mannequin par un condamné à mort) alimentent un humour noir tout à fait sémillant, mais qui n’a pas vocation à durer.


La deuxième partie, à la manière d’une gueule de bois, ankylose les esprits et les corps. Les quelques tentatives pour le Régent de réformer (écho, disait-on à l’époque, à la politique giscardienne, un des hommes de pouvoir se nommant d’ailleurs Chirac) se heurtent à une corruption généralisée que ne parviendra pas à compenser le cynisme dilettante des élites. Le bal masqué final invite ainsi des allégories (Misère, Désespoir et Crime) sans que l’exhibition puisse exorciser les angoisses croissantes des protagonistes. Le pourrissement, la véhémence (« Je voudrais pas mourir avant de te voir crever », déclare le Régent à l’archevêque) prennent leurs quartiers, et laissent enfin le peuple, ce grand oublié, s’insurger contre la mort d’un enfant. Le carrosse qui brûle renvoie à l’ouverture de L’Horloger de Saint Paul, image marquante de la révolte contre l’ordre établi, et la voix off de Tavernier prend le relais pour annoncer des développements que l’Histoire connaît. Mais la mélancolie noire qui gangrène toute cette colère n’est pas à proprement vectrice d’espoir.

Créée

le 13 avr. 2021

Critique lue 756 fois

18 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 756 fois

18

D'autres avis sur Que la fête commence...

Que la fête commence...
Docteur_Jivago
7

Don Quichotte de Bretagne

Louis XV trop jeune, c'est le duc d'Orléans qui assure la régence, non sans mal, avec un complot qui se trame en Bretagne, avec l'idée que Philippe V d'Espagne, petit-fils de Louis XIV, puisse lui...

le 23 sept. 2022

21 j'aime

6

Que la fête commence...
Sergent_Pepper
7

Soupers de chairs

Après avoir torsadé le polar dans L’Horloger de Saint Paul, Tavernier s’attaque au film historique, un genre dans lequel il s’illustrera à de nombreuses reprises. Le goût pour la reconstitution...

le 13 avr. 2021

18 j'aime

Que la fête commence...
Moizi
7

La foire aux détails

Ce qu'il y a de fabuleux avec ce film c'est que Tavernier s'attaque à une période peu connue de l'Histoire de France, entre le décès de Louis XIV et le règle effectif de Louis XV : la régence assurée...

le 24 sept. 2018

16 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

700 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53