Que ta joie demeure
6.2
Que ta joie demeure

Documentaire de Denis Côté (2014)

( /!\ Spoil !)

Que ta joie demeure est un film "monstrueux", il ne laisse pas au spectateur la place de s'y cacher. Ce n'est en rien un film confortable, il demande un effort constant d'analyse pour se laisser apprécier. Mais cet effort est diablement bien récompensé.
L’œuvre commence d'ailleurs par un monologue extraordinaire : une jeune femme s'exprime, et on ne sait plus, tour à tour, si c'est l'employeur qui s'adresse à l'employé, le Travail au Travailleur, le film au spectateur ou la séductrice à sa conquête ("Je suis difficile, mais si tu me pratiques, tu sauras m'apprécier. Tu découvriras tous mes secrets.").
A cette courte introduction succèdent quarante-cinq minutes difficiles. Ce ne sont d'abord que des machines en mouvement, dans un bruit assourdissant, sans aucune présence humaine, effectuant des tâches toutes plus sybillines les unes que les autres. Puis le travailleur est peu à peu associé à sa machine, et c'est enfin le lieu de travail que le film laisse apprécier. Peu à peu, les personnages s'expriment, mais très vite leur propos choquent : on retrouve dans la bouche de l'un les mots exacts tenus par un autre. Un sorte de degré zéro de la fiction se mêle au documentaire d'observation classique, pour composer une "allégorie cinématographique du travail" (définition de l’œuvre délivrée par son auteur). On bascule sans y prendre gare dans une sorte de représentation théâtrales dans les lieux même où, au préalable, s'animaient les machines. Pour finir sur un concert de violon ("Jésus, Que ma Joie demeure.", Jean-Sebastien Bach), donné par un enfant, s'achevant sur un regard caméra troublant.

Ce documentaire prouve une nouvelle fois que ce régime d'image est ouvert, et sait exprimer des idées par bien plus qu'une fiction. Le film construit un lieu fantasmatique, sorte d'usine composite que constituent les neuf lieux de tournage différent. A l'image, le spectateur ne peut savoir si les personnages qui travaillent devant lui sont des acteurs ou de réels ouvrier (il y a même, à en croire le réalisateur, un acteur travaillant régulièrement en usine). Il n'y a aucun propos clairement revendiqué, sinon que l'usine existe encore aujourd'hui, qu'elle peut faire souffrir, mais qu'elle sait être aussi un lieu de travail apprécié de ses travailleurs. Toute la première partie, qui génère une créature mécanique extraordinaire, peut évoquer une problématique marxiste d'aliénation du travailleur à son lieu de travail, notamment par le traitement du son, d'autant plus que jamais l'on ne peut saisir clairement le but des actions représenté, le matériau fabriqué par les machines et les ouvriers en présence.. La seconde oriente plus le spectateur sur un parallèle tissé entre le travail mécanique de l'usine et le travail artistique du cinéaste ou de l'acteur, elle tente de réduire le grand écart existant entre ces deux professions.

Quoi qu'il en soit, Denis Côté offre avec son film un objet cinématographique inédit, dont le seul message est l'imprécation lancée par une jeune chômeuse, une fois à un éventuel Dieu, une fois à son employée (l'actrice déclamant le monologue initial), qui est aussi bien celle de son personnage que celle que le film crie à son spectateur : "Je me remets entre Tes mains".
Wlaad
8
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Le documentaire n'est pas un genre cinématographique

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le 22 mars 2014

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Wlaad

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