Queen & Slim sillonne des routes vidées de leur circulation, parcourt des petites villes sans âme qui vive et rend palpable, par cette absence présente dans l’environnement même, le danger qui harcèle notre couple de fugitifs. C’est une Amérique réduite à l’état de friperie que nous dépeint Melina Matsoukas, un pays où chacun doit porter un vêtement qui n’est pas taillé pour lui mais qu’il endosse par souci de jouer son rôle dans la machine sociétale : un homme noir est sous un costume de policier et suscite la révolte d’un jeune adolescent, Queen revêt une robe tigrée prise à son amie, Slim une veste bordeaux appartenant au mari de cette dernière. D’une camionnette à une Cadillac bleue, d’un fast-food à l’autre, nous empruntons et mettons en circulation des objets censés transporter une identité à cacher, à l’instar de ces boîtes à chaussures accumulées dans le coffre de la première automobile et que le policier soupçonne de contenir toute sorte de substances illicites.


Le film repose sur un interdit, cet interdit au fondement même de la déchirure opposant les Blancs et les Noirs. Et la bonne idée du long métrage – une parmi beaucoup d’autres – consiste à croiser le récit d’une fuite vers l’ailleurs avec un flirt qui se transforme peu à peu en ébauche d’une relation amoureuse. La révolte contre l’injustice sociale se double ainsi d’une révolte profondément sexuelle, en témoigne l’enchâssement de deux scènes mises sur le même plan chronologique, à savoir une manifestation non-violente contre les violences policières et l’initiation de nos deux amants à l’amour physique, dans leur voiture. Comme dans Thelma & Louise – qui est ici une référence importante, et cela dès son titre –, le motif de la voiture est central dans le film, il incarne cet idéal d’évasion vers un au-delà redéfini à chaque kilomètre et les pannes de cet idéal : changer le ventilateur, voire de voiture, forcer le démarrage à l’aide d’un tournevis. La fin du chemin n’est jamais loin, mais sans cesse repoussée, comme des moments de vie volés à ceux qui font la loi.


En dépit d’une tendance parfois malvenue à la fétichisation de ses personnages principaux dont le traitement naturaliste teinté de poésie aurait suffi à construire la notoriété voire la dimension iconique, Queen & Slim est un coup de poing balancé au visage de l’Amérique tout en rendant sa lutte suffisamment juste et universelle pour qu’elle puisse résonner partout dans le monde et en tout temps. Melina Matsoukas, talent à suivre.

Fêtons_le_cinéma
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le 13 févr. 2020

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